démocratie et partis politique
L’extension du suffrage universel à l’ensemble des couches de la société, permettant l’avènement des « régimes démocratiques modernes », a entraîné l’apparition de nouvelles structures politiques : les « partis de masse ». 2Généralement présentés comme des organes « émanant du peuple et gouvernant pour le peuple », les partis politiques se sont révélés être des structures aux méthodes et aux objectifs bien plus complexes. C’est M.Ostrogorski qui le premier mit en lumière la véritable fonction des partis, à savoir l’encadrement généralisé des masses en vue de l’obtention de leurs suffrages. 3Roberto Michels insistera quand à lui sur le fonctionnement oligarchique propre aux partis de masse. Les partis émanent certes du peuple, mais ils y reproduisent fidèlement la hiérarchie existant dans la société, de même que les mécanismes de domination politique et sociale. Dans ces deux études, fondamentales pour la compréhension du système des partis dans nos démocraties « modernes », est posée la question de leur relation même à la démocratie, tant en externe (quand le parti s’adresse à la société) qu’en interne (quand il s’adresse aux adhérents). 4Ce fonctionnement paradoxal des partis de masse atteindra son paroxysme avec le Parti communiste russe de Lénine, structure ultracentralisée et hiérarchisée, totalement dévouée à son chef. L’habile utilisation par Lénine des principes de la guerre moderne édictés par Clausewitz pour conquérir le pouvoir politique, tant à l’intérieur du parti que dans la société russe, lui permettra de parvenir à ses fins : l’instauration d’un pouvoir total. 5Une question peut alors se poser : comment l’idéologie socialiste (et a fortiori communiste) théoriquement porteuse de l’idéal démocratique peut-elle s’accommoder de ce type de fonctionnement, niant le principe même de démocratie ? La réponse, teintée d’un froid pragmatisme, pourrait être celle-là : il n’y a pas de vie politique possible, dans nos démocraties, à l’extérieur des partis. Or, ces machines à l’organisation redoutable ont été créées pour broyer leurs adversaires, non pour favoriser la démocratie en leur sein. 6Accepter la démocratie moderne, telle qu’elle se présente à nous jusqu’à présent, c’est accepter le système des partis et leur fonctionnement ou être rayé du champ politique. 7Au cours de notre enquête, la question principale que nous souhaitions poser est celle-ci : le fonctionnement du Parti socialiste est-il aussi démocratique que l’affirment ses dirigeants, et que le souhaiteraient ses membres ? 8La question implique d’observer et d’analyser minutieusement l’antagonisme entre deux tendances contradictoires du PS : la tendance doctrinale à la démocratie et la tendance partidaire à l’oligarchie. En clair, comment l’idéal démocratique de la doctrine socialiste s’accommode-t-il du fonctionnement oligarchique inhérent aux partis politiques ? Et comment ce dernier, tout en respectant les formes apparentes de la démocratie, favorise-t-il en fait la reconduction de la majorité ? 9Une période de congrès est un moment quasi « idéaltypique » où cette tension interne s’exprime avec une force toute particulière. C’est pourquoi nous avons choisi d’étudier ce moment si particulier de la vie du parti. Nous procéderons dans un premier temps à l’analyse du contexte interne du PS « post-21-Avril ». Nous étudierons ensuite la procédure de congrès en elle-même, au travers du prisme du congrès de section. Enfin nous procéderons à l’analyse politique et critique du fonctionnement de ce parti. 10Les événements du 21 avril 2002 auront eu une conséquence inattendue pour le Parti socialiste : l’adhésion spontanée de dizaines de milliers de personnes, traumatisées par l’échec de Jospin au profit de Le Pen au premier tour de l’élection présidentielle. Ces nouveaux adhérents ont porté à 150000 les effectifs du PS hors année de congrès, événement inhabituel. 11Passé l’effet de surprise, beaucoup de cadres du parti se sont demandé si cette arrivée massive était réellement une aubaine. En effet, la structure électorale du parti, en période de préparation de congrès, se trouvait considérablement modifiée. Les « réseaux » internes existants, pièces maîtresses dans la conquête du pouvoir au PS, se gonflent de plusieurs milliers de nouveaux adhérents dont personne ne sait alors quelle va être la réaction. 12Dans les débats, il est patent que les nouveaux venus se retrouvent sur une ligne plus radicale et plus critique que la présente majorité du PS. Les nouveaux adhérents sont aussi plus déterminés à militer et à « faire bouger les choses », alors même que le PS entre dans une phase de repli interne et se prépare à passer une période d’hibernation, sans élections immédiates. 13Ces bouleversements internes sont redoutés par les cadres du parti, puisqu’ils rendent plus difficile le contrôle de la structure et augmentent les « zones d’incertitude » quand à la réaction que peuvent provoquer ces nouveaux venus sur les militants habitués à la discipline du parti. La question principale qui se pose alors aux cadres est de savoir comment canaliser ce flux. Les minorités au contraire voient dans ces arrivées massives un facteur de bouleversement de la vie du parti qui pourrait durablement changer la donne. Avec cet afflux inespéré de militants, elles pourraient alors obtenir les effectifs nécessaires pour provoquer une lame de fond permettant de renverser la majorité. La ligne de la « critique de gauche » du PS pourrait être particulièrement appréciée de ces nouveaux venus radicalisés. 14C’était compter sans la stratégie « d’endiguement » qui est alors mise en place par la motion 1. 15Le parti entre en sommeil, se prépare à perdre les législatives (ce qui se produit) et ralentit considérablement son activité. Cela bride évidemment la volonté des récents adhérents d’entreprendre des actions immédiates. Les débats se raréfient dans un premier temps, ce qui ôte de surcroît tout moyen d’expression à ces nouveaux venus. Évidemment, le ralentissement de l’activité du PS après une élection (qui de plus est une défaite) est un élément incontournable de la vie du parti. Néanmoins, ce cycle a été utilisé pour tempérer un parti devenu un temps incontrôlable. Les sections retrouvent souvent des effectifs conséquents après les élections mais plongent, la plupart du temps, dans une inertie qui déconcerte les nouveaux adhérents venus dans l’espoir de participer à une action politique immédiate. 16Face à quoi la réaction des nouveaux venus du 21-Avril fut de plusieurs types. En premier lieu, un certain nombre d’entre eux sont repartis aussi vite qu’ils s’étaient présentés. Entre le début du mois de mai et le début du mois de septembre, on peut estimer les départs à 10-15% des effectifs. Il s’agissait essentiellement de personnes qui n’avaient pas encore adhéré (et donc pas encore réglé leur cotisation). On peut noter que les plus motivées pour des actions immédiates n’ont pas trouvé le « rythme militant » qu’elles espéraient. Pour récupérer ces « brebis égarées », les sections ont agi de différentes manières. Celles qui étaient dirigées par des minorités ont essayé à plusieurs reprises de les rappeler, et ce n’est qu’après plusieurs contacts infructueux qu’elles ont décidé de ne plus se consacrer qu’aux adhérents « présents et motivés ». Les sections dirigées par la motion majoritaire ont agi de façon hétérogène. Certains ont effectivement tenté de récupérer ces adhérents et militants potentiels, d’autres s’en sont totalement désintéressés, estimant que chacun « agit en pleine conscience » et « qu’on ne peut pas être derrière le dos de tout le monde ». S’agit-il alors d’une stratégie de « mise en ordre du parti » de la part de la majorité ? Nous n’avons pas d’éléments qui permettent de l’affirmer. Néanmoins, la disparition d’un certain nombre des nouveaux venus les plus radicaux favorise alors incontestablement la ligne de « stabilité et d’unité » prônée par François Hollande. 17Une fois passée cette première période d’effervescence « post-21-Avril », on peut affirmer que la majorité a réussi à « apaiser » le parti par un ralentissement des rythmes militants savamment utilisé. Ce ralentissement, ajouté au choix d’une date de congrès relativement éloignée (environ un an plus tard par rapport au 21 avril), permet de réduire la possibilité d’un « vote sanction » (un « vote affectif ») tant redouté par les membres de la motion 1. Et avec le départ d’un certain nombre de militants parmi les plus motivés et les plus radicaux, il a rendu de fait le PS moins instable et incontrôlable. Néanmoins, beaucoup de nouveaux adhérents ont choisi de continuer leur route avec le parti et, pour les convaincre, la majorité choisit d’adapter sa stratégie. 18Pour convaincre l’ensemble des nouveaux adhérents ayant choisi un engagement sur le long terme au PS, la stratégie de ralentissement des rythmes militants aurait été contre-productive, puisqu’elle aurait risqué d’entraîner un rejet prolongé de la majorité au profit des minorités de gauche. 19Ces minorités se montrent extrêmement critiques vis-à-vis de l’apathie que connaît le PS et exigent alors un retour immédiat à l’action, notamment au sein des mouvements sociaux qui démarrent contre le nouveau gouvernement. La majorité ne doit pas se laisser déborder par ces mots d’ordre et choisit alors de lancer toute une série de débats. 20Les sections se réunissent de plus en plus fréquemment pour « discuter de l’actualité », « établir des plans d’action »… Ce qui se dégage alors des débats, c’est le profond traumatisme engendré par la défaite. Un traumatisme amplifié par un sentiment d’incompréhension distillé par la majorité dans les débats – « qu’avons-nous fait de mal ? Notre politique était la seule possible ». Ces arguments sont répétés à l’envi par les secrétaires de section, les responsables fédéraux et l’ensemble des hauts cadres du parti. 21L’absence d’autocritique est flagrante et les argumentaires circulent pour contrer tous les éléments de la « critique de gauche » chère aux minorités. 22On retrouve les mêmes arguments au sein de sections pourtant très éloignées géographiquement et qui ressassent que « le bilan de Jospin est exemplaire : les 35 heures, les emplois jeunes, le PACS, la baisse du chômage ». 23Les quelques critiques émises concernent la méthode de campagne électorale, « l’incompréhension des Français », « les médias qui ont fait le jeu de la droite sur l’insécurité », et évidemment l’éclatement de la gauche plurielle. La faute est reportée en bloc sur les communistes, les Verts, Chevènement, Christiane Taubira, stratégie simple et payante puisqu’elle ôte quasiment tout le poids de la défaite des épaules du PS (et donc de sa direction). Ces arguments sont martelés avec une extrême régularité dans tous les débats, à tous les échelons, jusqu’à ce que l’ensemble des adhérents les trouvent crédibles. 24Les minorités sont prises pour cibles, accusées de « diviser le PS », de « rajouter de la crise à la crise ». L’argument de Jean-Christophe Cambadélis sur un potentiel « 21-Avril interne » fait le tour des sections françaises. 25Les minorités se trouvent souvent désarmées face à cette toile tissée par François Hollande et son équipe. Elles préparent des contre-argumentaires, selon un axe qui n’est plus critique mais propositionnel alternatif : la VIe République et de nouvelles pratiques politiques pour NPS; le renforcement des services publics, l’arrêt des privatisations, l’approfondissement des 35 heures sans flexibilité du travail pour Nouveau Monde; le renforcement du rôle et du poids des militants dans le PS pour Dolez. Chacun fourbit ses armes, et si François Hollande utilise toute sa science du parti pour quadriller idéologiquement le terrain, les minorités entament un tour de France des sections, les ténors (Montebourg, Peillon, Emmanuelli, Mélenchon, Dolez) participant aux débats locaux. 26Cette intense période de débats permet alors à chacun de trouver sa place au parti. Les nouveaux adhérents comme les plus anciens y participent et échangent leurs idées. Cette atmosphère de « saine émulation » ne s’était plus retrouvée depuis l’arrivée de Jospin aux commandes en 1995, tellement celui-ci avait réussi à regrouper une majorité écrasante autour de lui. 27François Hollande a la mainmise sur les organes d’information du PS. 28Il apparaît dans chaque Hebdo des socialistes. Sur les sites Internet, on retrouve son agenda, ses prises de position contre le gouvernement dans les médias. Il use de sa pleine autorité à la tête du parti pour se forger l’image de légitimité qui lui manque auprès des militants. Les minorités dénoncent quant à elles une « personnalisation des débats au-delà du supportable ». 29A posteriori, on peut estimer que c’est à cette période que la motion 1 rattrape sérieusement son déficit de popularité au sein du PS, tant auprès des nouveaux militants que des plus anciens. Le quadrillage idéologique, l’appel à l’unité du parti, la marginalisation des minorités lui permettent de prendre un ascendant certain. C’est aussi à ce moment que François Hollande construit sa légitimité en reprenant en main les organes de diffusion interne du PS. En apparaissant dans chaque Hebdo des socialistes, et de manière omniprésente sur le site Internet du parti, il essaie alors de briser son image de « leader par défaut ». Son habileté aura été d’utiliser au maximum sa position de force en tant que premier secrétaire du parti, pour retourner à son avantage une situation qui semblait au départ en sa défaveur. 30Même durant cette période de débat intense, où le caractère démocratique du PS s’exprime avec le plus d’acuité, les courants ajustent leurs stratégies et ne laissent rien au hasard. Les argumentaires s’enchaînent avec les contre-argumentaires, la majorité use de tous les éléments en sa faveur pour faire basculer le rapport de force afin de « gagner les consciences ». 31Cet activisme produit d’excellents résultats pour la majorité. Les nouveaux adhérents sont convaincus par l’argument mettant en valeur l’unité du parti, et les minorités ne capitalisent pas suffisamment d’insatisfaction pour faire pencher la balance au moment du vote. 32Il est intéressant de noter le réflexe « légitimiste » adopté par la masse des adhérents. C’est notamment cet état de fait qui permet à la majorité de renforcer ses positions durant une période qui n’aurait pas dû lui être favorable, puisque c’est à ce moment-là que les critiques s’expriment avec le plus de force devant un auditoire important. Pour justifier ce réflexe légitimiste, les adhérents ont recours à plusieurs arguments. En premier lieu revient l’argument de l’unité du parti, véritable machine de guerre de la majorité. 33En second lieu, beaucoup estiment que « c’est au sein de la majorité que l’on peut faire évoluer les choses ». En effet, le poids des minorités hors période de congrès apparaît dérisoire à beaucoup d’adhérents et de militants. Tous reconnaissent le fait que chacun doit pouvoir émettre des critiques, mais aussi que celles-ci auront un effet quasiment nul sur une majorité qui a les pleins pouvoirs au sein du PS. C’est là un argument cruel, mais lucide. 34Peut-on alors réellement parler de démocratie à ce moment de préparation des votes en vue du congrès ? L’ouverture des débats et la libre expression de chacun dans le parti sont incontestables en cette période, et même si les organes d’information sont aux mains de la ligne majoritaire, ils ne suffiraient pas à influencer l’opinion des adhérents s’ils n’étaient relayés sur le terrain. Pendant toute cette période, les « manœuvres d’appareils » sont de fait quasiment inexistantes; mais plus la période électorale à proprement parler se rapproche, plus elles vont prendre de l’importance. 35C’est au niveau de la section, l’unité de base du PS, que se joue l’essentiel du congrès. C’est en effet dans les sections que se déroulent les étapes les plus importantes pour convaincre les adhérents et établir les réseaux politiques de conquête du pouvoir au sein de l’appareil. C’est le courant qui détient le plus de sections, et donc de fédérations, qui l’emportera. Le maillage administratif au sein du parti est donc monté scrupuleusement par chaque motion, car pour « faire des voix », il faut avoir assez de cadres sur le terrain, suffisamment bien répartis afin de convaincre le maximum d’adhérents. 36Le rôle des responsables locaux est énorme dans un parti qui pratique la décentralisation. Chaque section possède une véritable autonomie vis-à-vis des fédérations, et il en va de même entre les fédérations et le national. 37L’élément le plus surprenant au PS, c’est l’existence de réseaux politiques extrêmement bien structurés malgré cette décentralisation (on peut parler des « fabiusiens » ou des « emmanuellistes » par exemple). À la veille du scrutin, chaque motion est en mesure de prévoir le score qu’elle fera dans chacune des sections, les marges d’incertitude étant réduites au minimum (nous verrons comment). 38Cette décentralisation extrême est compensée par une discipline stricte au sein de chaque motion, discipline nécessaire à la conquête du pouvoir. 39Celle-ci consiste en un véritable contrat passé entre les responsables locaux, fédéraux et nationaux. Les responsables locaux savent que pour « conserver ou gagner une section », ils devront appeler à voter pour un texte de motion. C’est en fonction du résultat de ce texte qu’ils pourront – ou non – rester en fonction et monter dans la hiérarchie du parti (au niveau fédéral notamment). Chaque secrétaire de section représente le premier maillon d’un réseau politique au sein du parti, puisqu’il est chargé de « faire voter » les adhérents dont il a la charge pour le « bon » texte (celui de la motion qu’il soutient). 40C’est le nombre de voix obtenues par chaque motion qui déterminera le nombre de délégués envoyés au congrès fédéral, puis, de fait, au congrès national. Cette structure pyramidale donne une importance de premier ordre au vote de chaque adhérent dans la section. En ce sens, le mode d’organisation du PS est profondément démocratique, et d’autant plus que le vote s’effectue à la proportionnelle intégrale, le poids du vote des sections étant seulement pondéré par la taille (le nombre d’adhérents) de ces dernières. Le groupe qui perd des sections s’affaiblit ou perd des fédérations, et s’affaiblit donc encore nationalement au moment du décompte final des délégués. Il s’agit là d’une logique mathématique. 41La lutte entre les différentes motions est donc une lutte de tous les instants – au moment des débats qui ont lieu entre deux congrès, au moment des débats préparatoires au congrès, au moment de l’adhésion comme au moment des votes à proprement parler. 42La bataille des adhésions représente la première étape dans la structuration d’un réseau politique au sein du PS. Chaque motion part du principe que toute personne qu’elle fait adhérer au PS sera un soutien potentiel (quasi certain) lors du prochain congrès. Ce principe est admis parce que chaque motion s’occupe de convaincre ses futurs adhérents avant leur entrée au parti. Elle pourra en outre soigneusement les « encadrer » afin de suivre leur évolution ultérieure et leur vote final. Le secrétaire de section est la personne la mieux à même de contrôler les opérations. C’est lui qui gère le fichier des votants de base et s’occupe du renouvellement des adhésions. C’est lui qui accueille les nouveaux adhérents, s’entretient avec eux, puis les présente aux autres adhérents lors d’une réunion de section. 43Par sa position privilégiée, le secrétaire de section est de fait le plus légitime pour faire « entrer » de nouveaux adhérents, renforcer son réseau et celui de sa motion au sein de la section, au plan fédéral comme au plan national. 44C’est en outre lui qui peut bloquer l’adhésion de nouveaux adhérents en qui il n’a pas confiance (parce qu’ils sont proches des partisans d’une autre motion que la sienne par exemple). Il peut utiliser plusieurs moyens pour bloquer une ou plusieurs adhésions, moyens qui donnent souvent lieu à des litiges statutaires. En premier lieu, l’entretien particulier peut mal se passer. C’est un cas peu fréquent mais quand même récurrent. Le secrétaire de section refuse alors de présenter le futur adhérent en réunion de section. Ce type de décision donne lieu à de virulentes contestations par les motions minoritaires, et avant tout de la part de celles qui soutiennent l’adhésion du candidat. Ce type d’événement n’est pas facile à gérer pour un secrétaire de section, qui voit alors son impartialité remise en cause en public. En deuxième lieu, le secrétaire de section peut refuser des adhésions collectives. En effet, lors de chaque congrès, les motions procèdent à des « entrées collectives » de cinq à dix militants à la fois. 45Lorsqu’il s’agit de la motion localement majoritaire, le secrétaire de section ne fait pas de difficulté puisque la plupart du temps, c’est lui qui organise ces entrées. Mais lorsqu’une motion localement minoritaire propose l’adhésion de plusieurs personnes, cela donne souvent lieu à un blocage de la part de la direction de la section. Malgré tout, il est difficile pour un secrétaire de section de refuser des adhésions qui se font avant la date de centralisation des cartes et dont les adhérents payent leur cotisation immédiatement. 46Cette question des cotisations représente un autre point de friction potentiel. Chaque section est libre de fixer le montant de sa cotisation « en fonction des besoins du parti », ce qui peut donner lieu à de multiples interprétations et fluctuations en fonction des sections. Généralement, plus le montant de la cotisation est élevé, plus cela sert le groupe majoritaire au sein de la section. Cela permet de réduire le risque « d’adhésions massives » organisées par des minorités. De plus, le règlement de la cotisation lui-même est un enjeu important. La cotisation est exigible en intégralité dès la demande d’adhésion. Mais en général, pour des raisons pratiques, le paiement peut être échelonné. Une adhésion dont la cotisation n’a pas été payée intégralement peut être contestée par une motion. 47C’est ici que le trésorier de section entre en jeu, puisque c’est lui qui contrôle les comptes, souvent de manière secrète. L’entente entre le secrétaire de section et le trésorier est primordiale, puisque si le trésorier ne conteste pas financièrement les adhésions proposées, celles-ci sont acceptées. Les autres adhérents n’ont aucun moyen de s’assurer du paiement intégral d’une cotisation. Ils ne peuvent que vérifier les comptes de la section au moment de leur publication tous les ans, publication qui arrive toujours après les résultats du congrès. La contestation financière des adhésions est ainsi aisée pour le trésorier de la section (qui fait en général partie de la motion majoritaire localement), mais particulièrement difficile pour les minorités locales, qui doivent impérativement apporter des preuves pour soutenir leurs éventuelles remises en cause. 48Chaque motion se bat pour obtenir le meilleur taux d’adhésion dans chaque section puisque cela détermine le plus souvent directement le résultat des votes au plan local. La motion majoritaire fait en général tout pour freiner les adhésions afin de ne pas voir son avance diminuer. Les motions minoritaires essaient au contraire de convaincre le plus de sympathisants qu’elles côtoient afin de les faire adhérer. 49La contestation des adhésions se règle dans les commissions fédérales et nationales d’arbitrage, composées de membres élus proportionnellement aux scores des motions lors du dernier congrès. Ces commissions sont souveraines et doivent statuer après avoir entendu les arguments de toutes les parties. Néanmoins, il n’est pas rare que ces commissions aboutissent à des décisions surprenantes, chaque membre votant selon « sa conscience » mais aussi, souvent, selon les intérêts de la motion qu’il représente. Les commissions d’arbitrage veillent néanmoins à ne pas prendre de décisions qui contreviendraient aux statuts afin d’éviter de s’exposer à un recours devant le tribunal administratif (ce qui n’est dans l’intérêt de personne au sein du PS). En revanche, de subtiles négociations peuvent aboutir à des blocages à certains endroits, qui se compensent par des compromis ailleurs. 50Les commissions peuvent ainsi décider de geler un certain nombre d’adhésions et empêcher de la sorte le vote des adhérents concernés. Ce type d’informations « sensibles » au PS circule plus que discrètement. Seule l’observation attentive de certains cas peut attester de tels événements (nous ne mettrons en cause ici aucune section ou fédération nominativement). 51C’est au moment de l’annonce officielle faite par la commission nationale des litiges que le corps électoral du prochain congrès du PS est définitivement fixé. C’est à ce moment que se clôt la bataille de adhésions. 52Chaque motion connaît alors précisément son poids au sein du parti et celui de ses adversaires. Ces informations sont particulièrement utiles en vue des coalitions futures qui pourraient créer une nouvelle majorité. 53Aucun dirigeant de la motion 1 n’a estimé nécessaire de bouleverser l’ordre établi depuis l’arrivée de Jospin. Si NPS a finalement décidé de présenter une motion – et non une simple contribution –, c’est pour des raisons idéologiques, pour conquérir une place plus importante au sein du parti, mais c’est aussi parce qu’Arnaud Montebourg et ses collègues savaient pouvoir compter sur un réseau qui leur permettrait de faire un score significatif au niveau national. 54Nous venons de le voir, le secrétaire de section tient une place centrale au cœur du dispositif de conquête du pouvoir. C’est lui qui contrôle les adhésions, mais c’est surtout lui qui structure localement sa majorité et sa motion. Les motions qui n’ont pas ou peu de secrétaires de section dans leurs rangs ne peuvent pas prétendre à l’obtention d’un bon score national. Le poids qui repose sur les épaules du secrétaire de section est donc énorme. 55En retour, ses responsabilités lui confèrent une place centrale au sein de chaque motion. Il organise l’activité de la section hors période de congrès, il décide de la périodicité des réunions, du planning des actions militantes, des campagnes locales ou nationales. Il réunit régulièrement le bureau de section issu du congrès afin de permettre localement le débat entre les différentes motions et d’établir l’ordre du jour des réunions de section suivantes. 56Il forme avec le trésorier le couple exécutif de la section, qui joue un rôle déterminant tant pour décider des modalités d’une campagne que des moyens pour la mener. Seul ce couple exécutif a accès au fichier des adhérents de la section. Cet élément central dans le dispositif du congrès est sujet à toutes sortes de polémiques. En effet, disposant seul des coordonnées de tous les adhérents, le secrétaire de section devient de fait leur interlocuteur unique quant à l’ensemble des informations relatives au parti. 57Le contact avec l’adhérent est un élément déterminant dans la construction de la légitimité de la direction au sein de la section, qui joue sur des attributs tant personnels que politiques. C’est la « nécessaire confidentialité » des informations qu’il contient qui justifie cet accès exclusif au fichier des adhérents. L’histoire du mouvement socialiste démontre en effet que cette confidentialité a permis au mouvement de se développer en dépit de la répression qu’il a subie à certaines périodes. 58Parmi les dispositifs mis en place en vue du congrès, le phoning a été systématiquement utilisé par les différentes motions afin d’établir des contacts privilégiés avec tous les adhérents. Les secrétaires de section ont appelé les adhérents afin de prendre rendez-vous et d’avoir des discussions de fond sur les questions débattues au congrès, les motions, les votes futurs, etc. Mais la motion qui dirige le parti au moment du congrès a accès à l’intégralité du fichier des adhérents, alors que les motions minoritaires n’ont accès qu’au fichier de leur propre réseau. Cet accès privilégié n’étant régi par aucune règle statutaire, il ne peut donner lieu à des contestations ouvertes; il n’empêche qu’il est aujourd’hui un élément central de la conquête et de la conservation du pouvoir au sein du PS en période de congrès. 59Afin de l’aider dans cette tâche de « conviction », le secrétaire de section s’entoure en général d’une équipe de congrès. Il répartit entre ses membres le phoning (on peut noter que, dans ce cas, la question de la confidentialité des fichiers n’est plus évoquée). C’est grâce à ce dispositif que les réseaux politiques peuvent exister au PS malgré son fonctionnement décentralisé. Chaque motion réunit régulièrement ses responsables locaux et départementaux afin d’avoir une idée précise du travail effectué et des tâches qui restent à accomplir. Plus le réseau est important et étendu nationalement, plus la tâche est complexe. Si le maillon de base (le secrétaire de section ou son équipe) fait défaillance, il devient extrêmement difficile de poursuivre la construction du réseau et de s’assurer de l’issue du vote. 60La qualité du recrutement des cadres de base est pour cette raison extrêmement importante. 61Plus le travail de « conviction » mené par les secrétaires de section avance, plus les zones d’incertitude liées au secret du vote se réduisent. Les débats se « verrouillent » de plus en plus. Le travail de phoning commence à porter ses fruits lorsque l’adhérent « de base » devient insensible tant aux arguments des motions concurrentes qu’au charisme de leurs leaders. 62Lorsqu’une figure nationale vient dans une section importante du parti (comme cela arrive tous les soirs en période de congrès), elle sait pouvoir compter tout autant sur son aura politique que sur ses arguments pour convaincre l’audience. Mais un bon travail relationnel du secrétaire de section peut aussi annihiler ses efforts. 63Ce dernier peut estimer son travail vraiment réussi lorsqu’un simple adhérent ose essayer de prendre en défaut le leader d’une motion concurrente sur son propre terrain. À ce moment précis, l’aura et le charisme politique de l’orateur ne suffisent plus, il doit trouver de véritables arguments de fond (ou de forme) pour se sortir du véritable piège qu’est la remise en cause militante. En effet, les ténors du parti sont habitués aux joutes verbales. Mais ces mêmes ténors peuvent se retrouver bloqués par la question insidieuse d’un « militant de base », quelqu’un que non seulement ils ne connaissent pas, mais qui n’est pas censé maîtriser l’art de convaincre politiquement, tout simplement parce que ce n’est pas son métier. Lorsque les ténors d’une motion minoritaire sont chahutés dans un débat de section, c’est une grande victoire pour le secrétaire qui voit son travail publiquement récompensé – et le leader de sa motion qui s’est déplacé pour le débat vient généralement le féliciter discrètement pour son travail militant à la fin de la réunion. 64Lorsque les derniers débats précédant le vote de la section ont lieu, le travail de conviction mené par l’ensemble des motions provoque chez les militants une cristallisation des positions sur lesquelles les débats ultérieurs n’ont plus prise. On parle alors de « verrouillage » lorsque cette situation se produit; l’échange d’idées devient inutile parce que stérile, les échanges d’arguments deviennent de simples formalités, et cet état de fait est quasi-ment conscient dans l’esprit de tous les adhérents qui participent à la réunion. 65La tension devient palpable quand les motions commencent à faire le compte en interne des adhérents qu’elles ont réussi à rallier. 66Dans un congrès normal, il n’y a qu’une portion réduite de « votes flottants » à grappiller. Avec les adhérents post-21 Avril, la marge d’incertitude était beaucoup plus importante, la tension chez l’ensemble des motions beaucoup plus grande. On peut simplement constater que la motion de François Hollande aura réussi le pari de rassembler le plus de votes flottants, malgré la radicalisation plus importante des adhérents de dernière heure. 67Les arguments légitimistes de « l’unité du parti » ou du « risque de 21-Avril interne » auront pesé de tout leur poids sur les consciences militantes. 68Le moment du vote dans chaque section est celui d’une tension extrême. 69Chaque motion prépare un dispositif quasi militaire afin de quadriller le territoire et de surveiller le vote. Cette opération se déroule en effet dans une atmosphère de suspicion absolue. La procédure en elle-même est banale. 70Une convocation est envoyée à chaque adhérent afin d’indiquer la date, les horaires et le lieu de vote. Le bureau de vote est en général le local de la section; une urne scellée y est déposée, les bulletins sont préparés ainsi que la liste d’émargement; un isoloir y est aménagé, ou à défaut, un endroit où les votants peuvent se retirer à l’abri des regards. Pour voter, chaque adhérent doit présenter sa carte du PS (ou à défaut, une pièce d’identité). La stratégie de la motion majoritaire au plan national est d’essayer de coordonner le vote des sections afin que les élections se déroulent partout en même temps. Cette configuration rend la surveillance des bureaux de vote plus difficile pour les minorités. Néanmoins, pour pallier cet état de fait, celles-ci se consultent et s’organisent afin de se répartir les surveillances. 71En règle générale, le bureau de vote accueille les représentants de la majorité locale et ceux d’une ou plusieurs minorités. 72Les procédures de vote se déroulent dans une atmosphère tendue. La fraude n’est pas forcément présente, mais chaque congrès voit des « anecdotes » plus ou moins plaisantes fleurir. On parle de « bureaux de vote fantômes, situés non au local des sections, mais parfois chez des adhérents, ou à des adresses inconnues », de « bulletins présents dans l’urne au moment de l’ouverture du bureau », de « votes majoritaires massifs en l’absence de minorités qui surveillent ». Pour avoir participé à ces congrès, l’auteur peut affirmer que de telles pratiques existent et que, si elles ne sont pas répandues, qu’elles ne sont pas non plus exceptionnelles. C’est pour cette raison que les représentants des minorités ont pour consigne d’arriver un peu avant l’ouverture officielle du bureau de vote et de ne repartir que le dépouillement terminé et les procès-verbaux signés. 73En général, les motions font en sorte que les adhérents d’une section ne surveillent pas le vote de leur propre section. En premier lieu pour des raisons relationnelles. Il est toujours délicat de mettre en cause des camarades que l’on côtoie à longueur d’année, de qui l’on devient proche, et qui agissent alors pour défendre des intérêts divergents. En second lieu, parce qu’il est toujours plus délicat de procéder avec des personnes que l’on ne connaît pas, ce qui limite les tentations de fraude. Et la présence de représentants d’autres motions a évidemment un effet plutôt dissuasif. 74Au moment du vote, un rappel téléphonique est effectué par les responsables de chaque motion afin de s’assurer de la présence de chaque adhérent. Chaque voix compte, et chaque résultat aura des répercussions départementales, puis nationales. Mais dans les sections où le vote est serré, les représentants de chaque motion ont aussi pour mission d’essayer de convaincre « à l’arraché » les adhérents encore indécis à leur entrée dans le bureau de vote et de les faire basculer dans leur camp, ou d’obtenir au moins leur abstention. On voit alors des débats acharnés sur les trottoirs ou les pas de porte pour capter ces dernières voix qui pourraient faire la différence. Mais, en général, ce type de pratique n’a en fait quasiment aucune influence sur les résultats du scrutin. 75En revanche, plus le scrutin est tendu, plus les menaces d’erreurs de procédure, et donc les potentialités de recours devant les commissions d’arbitrage, sont grandes. C’est aussi pour cette raison qu’un vote peut avoir un déroulement inattendu – « une urne qui s’ouvre sur la table », « des insultes dans le bureau de vote »… Tous ces incidents doivent être relatés sur le procèsverbal, qui sera la pièce essentielle en cas de contestation. Généralement, tous les postes de gestion de l’élection (présidence, assesseurs, tenue des listes d’émargement, comptage des bulletins… ) sont tenus par des militants de la majorité locale, les statuts ne prévoyant pas de distribution précise des postes. Les militants des minorités sont présents en tant que scrutateurs. La majorité locale peut choisir de confier une partie des tâches à des minorités si la situation locale est détendue, sans trop d’enjeux (les minorités ne comptant pas sur beaucoup de voix face à la majorité par exemple). 76Le procès-verbal représente un enjeu particulier. Plus il comporte d’éléments, plus le vote peut être remis en question par les commissions fédérales et nationales d’arbitrage. L’intérêt de la majorité locale est qu’un minimum de remarques soient inscrites sur le procès-verbal. L’inverse est évidemment essentiel pour les minorités. Les votes sont validés (ou non) lorsque les commissions fédérales et nationales se sont réunies afin d’examiner l’ensemble des résultats, des procès-verbaux et des recours, et qu’elles ont statué sur ces derniers. Ces tâches se déroulent à huis clos, « entre initiés », et sont confiées à des militants chevronnés qui possèdent une bonne science et une grande expérience des rouages du parti. C’est au sein de ces commissions que se font les scores de chaque motion. Ces derniers sont, contre toute attente, le fruit d’intenses négociations politiques. Une anecdote rapporte qu’en ce qui concerne le congrès auquel nous nous sommes intéressé, un haut cadre du parti pouvait se vanter de donner les résultats définitifs au pour cent près avant même l’ouverture du scrutin. Il est impossible de savoir si cette information est avérée, mais notre expérience tend à démontrer que ce type d’information peut circuler. Il reste alors à en démêler la part de vérité et la part de provocation dans la bouche de celui qui l’énonce. 77Pour conclure, disons tout de même qu’il existe beaucoup d’endroits où les votes se déroulent dans le plus parfait respect des procédures, et que les dispositifs de surveillance prévus lors des votes servent effectivement à limiter de manière forte les dérives que nous venons d’évoquer et qui peuvent au final fausser durablement le résultat du congrès. La lutte pour le pouvoir est une chose que l’ensemble des militants du PS prend au sérieux. Il existe des cas de fraude, et certaines commissions d’arbitrage ont rendu des décisions surprenantes à l’issue de scrutins locaux, mais les grands équilibres sont toujours respectés. Mais on peut dire que les résultats du dernier congrès du parti reflètent la réalité des choix militants, que lors du congrès de Dijon, chaque motion a « fait ses voix » sans que personne puisse remettre en cause cet état de fait. Et c’est au bout du compte vrai de tous les congrès. 78Les scores finaux reflètent la réalité militante du parti. La majorité sait aussi que pour préserver l’unité du parti, il faut savoir ne pas rompre les équilibres mis en place depuis sa construction… 79Nous avons pu le constater, le fonctionnement extrêmement décentralisé du PS n’empêche nullement une structuration interne importante en termes de réseaux politiques, dont le but est le plus souvent de soutenir les « éléphants » dans leur combat pour le pouvoir. La grande discipline dont font preuve les membres de ce réseau peut surprendre, puisque chaque échelon est autonome. Il existe une hiérarchie parmi les responsables, un secrétaire de section possède évidemment des responsabilités moindres qu’un premier fédéral. Mais un secrétaire de section est avant tout responsable devant les adhérents qui l’élisent tous les trois ans et non directement devant le premier fédéral. Des mesures disciplinaires peuvent être prises contre un adhérent dont les pratiques mettent en péril l’intégrité du parti face à l’extérieur, mais un secrétaire de section ne pourra jamais être sanctionné pour avoir désobéi aux consignes de son premier fédéral. 80La question qui se pose alors est la suivante : quelle motivation est à même d’engendrer la structuration de tels réseaux et l’existence d’une telle discipline militante au sein d’un parti au fonctionnement si souple ? La première motivation est évidemment idéologique. Lorsque l’on rencontre d’autres militants ( a fortiori des militants reconnus nationalement), qui partagent les mêmes idées que soi, le premier réflexe est évidemment de les soutenir dans leur démarche pour faire triompher cette ligne au sein du PS. Cette remarque est particulièrement valable pour une structure politique qui héberge en son sein des lignes diamétralement opposées, les tenants du « socialisme moderne » s’opposant farouchement aux « socialistes historiques, l’aile gauche du parti ». Et, évidemment, le fait de s’engager derrière un projet entraîne une reconnaissance au sein du parti, et les têtes de réseaux sont les personnes les plus susceptibles d’être mises en avant pour la conquête des postes à responsabilité; c’est tout à la fois une récompense symbolique et le moyen d’acquérir du pouvoir au sein du parti et de son propre courant. 81Bien souvent néanmoins, le premier choix n’est pas idéologique. Le nouveau venu qui fait la démarche d’adhérer au PS ne connaît pas son fonctionnement interne. Généralement, il refuse de suivre aveuglément tel ou tel courant parce que ses représentants constituent l’équipe dirigeante d’une section. Néanmoins, chacun se rend compte que pour avoir une perspective d’évolution au sein du PS (pour peu que l’on en ait l’envie), il est nécessaire de s’agglomérer à un courant. Cela permettra en effet le moment venu de se voir proposer avec plus de facilité une responsabilité au sein du parti, d’abord localement puis fédéralement, et pourquoi pas nationalement. Dans ce contexte, l’adhésion à un réseau est avant tout une affaire d’opportunité : 82Les puissants réseaux qui organisent les motions du PS sont structurés par l’intérêt que trouvent les cadres à soutenir tel ou tel leader. La démarche purement idéologique est relativement isolée car risquée : un adhérent qui fait le choix de soutenir une motion minoritaire localement doit s’attendre à ne pas évoluer au sein du parti, excepté s’il parvient à renverser la majorité locale durant un congrès. Ce raisonnement est identique à tous les échelons du parti, la discipline étant la clé de la réussite au sein du PS. Des études ont montré que l’engagement au sein d’une structure collective correspond aussi à un désir de reconnaissance. C’est sur ce désir de reconnaissance que s’appuient les différentes motions du PS pour trouver des cadres disciplinés et efficaces qui leur permettent de se structurer. 83Cette « armée de cadres » est utilisée de manière intensive pendant les opérations de congrès, lorsque la lutte pour le pouvoir est la plus âpre. Entre les périodes de congrès, cette structuration devient beaucoup plus élastique. 84Les responsables nationaux retournent à leurs occupations, laissant les responsables locaux libres de s’organiser comme ils le souhaitent. Mais chaque responsable local est conscient de ce que, pour garder « sa section » ou « sa fédération » au prochain congrès, il est impératif pour lui de continuer son travail de structuration. 85L’analyse du déroulement du processus de congrès nous indique que la conquête du pouvoir passe impérativement par le contact que chaque équipe, chaque réseau entretient avec ses militants. Le fichier des adhérents est une arme de choix dans la conquête du pouvoir. C’est cet accès aux adhérents qui est l’apanage exclusif de la motion majoritaire localement qui surdétermine les résultats du congrès de section. Si l’ensemble des motions avait accès localement aux fichiers, ces dernières se livreraient à un phoning aussi intensif que les secrétaires de section et leur équipe. La marge d’incertitude augmenterait considérablement quant au vote final de chaque adhérent, et le PS ne verrait très probablement pas les mêmes hommes à sa tête durant deux congrès de suite. Aujourd’hui, on peut considérer que ce sont les mêmes personnes, les mêmes motions qui dirigent le parti depuis sa création en 1971. 86Seul François Mitterrand a réussi le tour de force de renverser la majorité que Guy Mollet détenait depuis la Libération. Ce fut au prix d’un accord secret préparé depuis des mois avec Mauroy et Defferre, les deux « patrons » des deux plus importantes fédérations de la SFIO, et avec le soutien du CERES de Chevènement, pourtant situé idéologiquement à l’opposé de Mauroy et Deferre. D’ailleurs, Mitterrand ne remporta qu’une courte victoire avec 51% des votes, score qui ne s’est plus revu depuis, la majorité remportant un minimum de 58% des voix dans les mauvaises années. 87Lors des élections législatives ou autres, l’égalité des chances entre chaque parti provient du fait que tous ont accès de la même manière aux populations qui votent, seuls les moyens changeant (apparitions médiatiques, meetings, diffusion de tracts, etc.). Au PS, l’accès aux adhérents est une denrée précieuse; c’est lui qui permet la victoire finale d’une motion sur une autre. Cet accès aux fichiers n’est pas statutairement réglementé. 88Cette lacune des statuts prend maintenant beaucoup plus de relief. 89Néanmoins, le courant majoritaire n’a pas tous les droits; et il est conscient que pour rassembler toutes les composantes du PS, il faut respecter un certain équilibre. S’il a potentiellement accès à l’ensemble des fichiers nationaux, son intérêt n’est pas d’augmenter ses scores au-delà du raisonnable. 90Cela entraînerait une fronde de l’ensemble des minorités qui, voyant toute tentative démocratique de prendre le pouvoir réduite à néant, n’auraient plus d’autre solution que de quitter le parti. Cela représenterait aujourd’hui 40% du PS. La majorité n’a donc aucun intérêt à provoquer ce type de situation, qui au final affaiblirait le parti et elle avec lui. Un accord tacite et informel existe ainsi entre les différentes composante du parti : chacun ne rappelle que les militants qu’il a fait adhérer, chacun se concentre sur son propre réseau. Cette logique accentue évidemment ce que nous avons nommé « la bataille des adhésions », qui détermine alors de manière quasi définitive les résultats près de trois mois avant la phase de vote proprement dite. 91Le congrès de Dijon a vu pour la première fois ce dispositif remis en question avec l’arrivée massive des adhérents du 21-Avril. Source d’inquiétude de la majorité et d’espoir chez les motions minoritaires, ces nouveaux venus ont considérablement fait remonter les zones d’incertitude quant aux résultats du congrès. Si la motion 1, par le processus de ralentissement de l’activité du parti, a réussi à provoquer le départ de quelques éléments parmi les plus déterminés, c’est avant tout la force de persuasion dont elle a su faire preuve auprès des nouveaux venus qui s’est révélée essentielle dans la conquête de leurs voix. Les nouveaux adhérents du 21-Avril ont massivement suivi une logique légitimiste de pacification du parti en votant pour la majorité. C’est ainsi que malgré la création de NPS et le départ de Marc Dolez avec sa fédération, la motion de François Hollande a rassemblé une large majorité de votes autour d’elle. 92L’intérêt de tout groupe au sein d’un parti est de remporter le pouvoir avec une majorité absolue. La motion 1 du PS y arrive depuis maintenant plus de vingtans par l’intermédiaire d’une mécanique subtile et bien rôdée. 93Rien ne semble aujourd’hui capable de contrarier ces équilibres. La tentative de Jean-Pierre Chevènement de construire une structure majoritaire à gauche à l’extérieur du PS est aujourd’hui dans l’impasse, ce qui renforce la position du PS et ainsi la propre légitimité de sa majorité. 94La démocratie existe avant tout par le strict respect d’un certain nombre de procédures. Ces procédures existent au PS : vote à la proportionnelle intégrale à tous les niveaux, vote à bulletin secret, codification du processus d’adhésion, etc. Le respect de ces procédures confère aux congrès du PS un caractère éminemment démocratique qui n’a pas toujours existé (notamment lorsque les votes se déroulaient à main levée). Le respect de l’adhérent, de ses choix, et le maintien de la confidentialité du vote permettent d’obtenir des résultats conformes à la volonté des adhérents du parti. 95Mais la démocratie est aussi un état d’esprit. L’atmosphère de tension et de suspicion qui règne durant le processus électoral est tout à fait palpable. Les craintes ne sont pas fondées sur le fait d’éventuelles pressions que pourraient subir les adhérents, mais sur la réaction des responsables des bureaux de vote en l’absence de tout témoin extérieur. Le « bourrage des urnes » n’est pas une légende au PS. Les élections au sein du PS ne ressemblent en rien à celles prévues pour la République française par exemple. La lutte pour le pouvoir est âpre et parfois sans limites. Il existe un slogan que l’on entend régulièrement à l’approche des congrès du parti : 96Les commissions fédérales et nationales de litiges se révèlent parfois être le lieu où se font et se défont les majorités. On n’y parle alors plus de comptages mais d’accords, où les scores des sections et des fédérations se négocient. Les moyens de pression sont en général à l’avantage de la majorité, qui possède dans ces commissions la majorité des sièges. Le gel ou l’annulation de votes concernant certaines sections ou fédérations sont fréquemment employés pour contraindre les opposants à accepter les conditions du congrès. Cependant, même si ces pratiques existent, les militants « initiés », quelle que soit la motion à laquelle ils appartiennent, reconnaissent que « les grands équilibres du scrutin sont sauvegardés » : que les « arrangements » occupent une place limitée et, surtout, qu’ils ne bouleversent pas les résultats qui font ou défont les majorités. Il se dit par exemple, que le fait que NPS devance légèrement Nouveau Monde au final est le résultat de ce type d’arrangements. La motion majoritaire estimant symboliquement important que l’aile radicale du parti soit en troisième position, le score de NPS aurait été remonté pour lui permettre d’occuper la deuxième position ( 16,88% pour NPS contre 16,33% pour Nouveau Monde). Mais personne ne remet en cause la légitimité du score de la majorité ( 61% à elle seule), seul élément réellement déterminant pour le destin national du parti. 97Pour peu qu’elles soient surveillées, les procédures démocratiques du parti sont assurées et garantissent un scrutin globalement juste lors des congrès. 98La conquête du pouvoir peut entraîner un certain nombre de dérives, mais la démocratie ne souffrirait pas d’être trop longtemps bafouée, car c’est alors l’unité du parti qui serait remise en cause. Fonctionner démocratiquement est une condition de la survie et de la puissance du PS dans la gauche française. 99Malgré tout, la majorité y dispose de puissants moyens d’autoreproduction. Le processus de « stabilisation », qui s’appuie sur l’inertie de la masse des adhérents et fait appel à leur sentiment légitimiste, tend à briser toute dynamique au sein du parti, et donc toute dynamique de conquête du pouvoir par les minorités. La cristallisation des rapports de force internes est, avec le monopole des fichiers, le moyen le plus subtil pour la direction de conserver le pouvoir. 100La question sous-jacente que pose cette étude du fonctionnement du PS n’est pas nouvelle. Elle a trait à la tension permanente existant entre les principes de la démocratie, la récurrence des luttes pour le pouvoir et le fonctionnement oligarchique inhérent au fonctionnement des partis de masse, aujourd’hui encore. Conformément à la tradition du courant socialiste, un compromis a été trouvé entre ces mouvements divergents. Il s’agit bien évidemment du principe de la « démocratie encadrée », un système qui navigue entre le respect du libre arbitre de chacun et le contrôle de masse en vue d’une prise ou d’un maintien du pouvoir. Ce système est le fruit de la résistance des idéaux démocratiques face à l’insatiable appétit qu’engendrent les luttes de pouvoir. https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2005-1-page-287.htmL’ARRIVÉE MASSIVE DE NOUVEAUX ADHÉRENTS
Mais que faire de tous ces gens ?
Des débats cruciaux… mais bien préparés
LE CONGRÈS DE SECTION
C’est ici que tout se joue
La bataille des adhésions
Le secrétaire et son équipe
Des débats verrouillés
Un vote sous haute tension
UNE DÉMOCRATIE TRÈS… ENCADRÉE
Une armée de cadres
un nouvel adhérent aura ainsi beaucoup plus de chances de devenir « fabiusien » s’il adhère dans une section dirigée par des partisans de Fabius. Peut-être aurait-il soutenu Arnaud Montebourg s’il avait adhéré à une section dirigée par NPS.Une affaire de « contact »
Les procédures dans le PS : démocratie ou bureaucratie ?
« La démocratie, ça se surveille. » On comprend avec la pratique que ce n’est pas un vain mot, et ce dans toutes les composantes du parti.