Gestion des déchets : les critiques acerbes des enseignants des sciences de la vie et de la terre
LEUR ASSOCIATION ESTIME QUE LES DÉCHETS NE SONT PAS CONSIDÉRÉS COMME RESSOURCES OU MATIÈRES PREMIÈRES DANS LA STRATÉGIE NATIONALE. ELLE DÉPLORE LE FAIT QUE SEULEMENT 24 DÉCHARGES SONT RÉALISÉES SUR LES 72 PRÉVUES. L’INCINÉRATION EST UNE FAUSSE SOLUTION ÉCONOMIQUE.
Fin avril 2019, la Secrétaire d’Etat chargée du développement durable, Nezha El Ouafi, avait annoncé que 19 centres d’enfouissement seront édifiés en 2019. Cette sortie ne semble pas emballer Abderrahim Ksiri, président de l’Association des enseignants des sciences de la vie et de la terre au Maroc (AESVT – Maroc), un des deux membres de l’Alliance marocaine pour le climat et le développement durable (AMCDD). Celle-ci, qui a réalisé une étude d’évaluation de la loi 28-00 (voir encadré), attire non seulement l’attention sur le retard accusé par le Programme national des déchets ménagers (PNDM), mais également met en doute l’approche adoptée dans ce programme. «Sur les 72 décharges contrôlées, prévues dans le cadre du PNDM, seulement 24 ont été déjà mises en place. Cela dit, l’approche Collecte & enfouissement fait défaut dans sa globalité. La stratégie adoptée par le Maroc ne considère pas les déchets comme ressources ou comme matières premières, comme c’est le cas dans plusieurs pays», souligne M. Ksiri.
Casablanca, exemple d’un gros gâchis
Une ville comme Casablanca a produit en 2017 environ 1,4 million de tonnes de déchets ménagers et assimilés, pour plus de 3 millions d’habitants. En hausse de 2,5%, ce pourcentage est enregistré annuellement depuis plusieurs années, selon les données fournies par l’AMCDD. A la décharge de Médiouna, qui reçoit chaque jour près de 3500 tonnes de déchets ménagers, «environ 850 récupérateurs informels extraient quotidiennement environ 1 000 tonnes de matériaux qui seront réinjectés dans le circuit informel et formel du recyclage». Dans cette décharge, l’absence de tri sélectif en amont et la prédominance de la matière organique, qui constituent plus de 65% des déchets, a été l’un des éléments essentiels à l’origine de l’enlisement de ce site dans une situation inextricable. On imagine facilement le gâchis.
Par dessus tout, l’incinération, méthode adoptée actuellement et vers laquelle s’oriente la future nouvelle décharge de Médiouna, constitue, selon M.Ksiri, «une fausse solution économique, sociale et environnementale». En effet, en dehors du coût très élevé des technologies d’incinérations, «un incinérateur de déchets peut coûter jusqu’à 7 millions de dollars par MW produit, soit 700 millions de dollars pour un gros incinérateur pouvant produire 100 MW», poursuit M. Ksiri. L’exploitation de ce genre d’installation nécessite des coûts opérationnels élevés, sans compter les cendres toxiques produits, devant être stockés dans une autre décharge spécifique.
Médiouna, une mine d’or non exploitée
La décharge de Médiouna est un exemple du manque de valorisation des déchets ménagers au Maroc. Comment ? Les déchets qui y parviennent peuvent être tout simplement recyclés, à commencer par les fermentescibles qui y représentent 55% du total des déchets, avec 749 585 tonnes par an. La décharge reçoit également 136 288 tonnes de plastiques annuellement, ce qui constitue 14 % du total, les plastiques PET (bouteilles d’eau minérale) étant exportés quasiment à 100% en dehors de la décharge. En ce qui concerne le carton, 190804 tonnes y sont acheminés annuellement, une quantité exportée et vendue. D’autres matériaux, comme les métaux (54 515 tonnes, 4%), essentiellement les cannettes et autres déchets en aluminium comme les boîtes de conserves et les déchets en cuivre, sont récupérés pour être vendus. Le reste est réparti entre le verre, 54 500 tonnes (4%), le textile, 27 258 tonnes (2%) et le gravât, 81 773 tonnes (6%). Tous ces éléments, sans exception, sont une matière première, apte à être recyclée.
Dans son étude d’évaluation de la loi n°28.00 relative à la gestion des déchets et du Programme national des déchets ménagers (PNDM), actuellement dans sa troisième phase, l’AMCDD estime que la mise en œuvre de cette loi n’a pas permis d’atteindre tous les résultats escomptés. Cette loi, dit l’Alliance, n’a pas pu déclencher l’élaboration «d’une vision, une stratégie participative, des approches, des moyens et actions, adaptés et innovants, prenant en compte les spécificités des territoires, des villes, des villages et des quartiers».
En ce qui concerne la gestion du problème de la décharge de Médiouna, l’AMCDD souligne que les plans constitutifs du corpus normatif référencé dans cette loi n’ont pas été pris en compte. «Il s’agit notamment du plan national de gestion des déchets dangereux, le plan régional de gestion des déchets industriels, médicaux et pharmaceutiques non dangereux et des déchets ultimes, agricoles et inertes, le plan interprovincial de gestion des déchets ménagers et le plan communal de gestion des déchets».
«Le citoyen doit être intégré dans la résolution du problème»
Certes, nous avons accusé un grand retard dans la mise en place d’une stratégie de gestion des déchets, mais plusieurs avancées positives ont été réalisées. Aujourd’hui, il faut changer d’approche en intégrant le citoyen dans la résolution du problème, puisqu’il fait également partie de ce problème.
Il est recommandé donc d’instaurer le tri en amont. La méthode Collecte & enfouissement n’est pas une solution optimale car la ressource que représentent les déchets est tout simplement détruite. Pour faire le changement que nous préconisons, il est primordial d’agir sur trois niveaux : la fiscalité, le contrôle et les sanctions et l’introduction d’outils techniques pour faciliter la gestion des déchets.
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