Le surf, un écosystème qui prospère à Taghazout
DESTINATION EN VOGUE DANS LES ANNÉES 60 POUR LES HIPPIES, NOTAMMENT EUROPÉENS, CET ANCIEN VILLAGE DE PÊCHEURS EST CLASSÉ DANS LE TOP 3 DES SPOTS DE SURF MONDIAUX AVEC WAIKIKI À HAWAÏ ET SURFER’S POINT À LA BARBADE. SUR LES VINGT DERNIÈRES ANNÉES DES MAROCAINS ET ÉTRANGERS ONT INVESTI NON SANS RÉUSSITE DANS DES ACTIVITÉS CONNEXES À CE SPORT. LES AUTORITÉS SONT INVITÉES À VEILLER À LA PRÉSERVATION DE L’ENVIRONNEMENT POUR QUE LA PLAGE GARDE SON ATTRACTIVITÉ.
Située à quelques heures à peine de l’Europe, Taghazout est considérée par certains surfeurs comme une destination bon marché. Mais pour beaucoup de mordus de ce sport de glisse, c’est surtout une localité empreinte d’exotisme, très prisée, car c’est à cet endroit que se trouve la plus renommée des vagues du Royaume. La pointe des Ancres est, en effet, le site qui attire le plus de surfeurs du monde entier depuis des années car il offre des vagues longues (point breaks) allant au-delà du km que viennent braver des surfeurs de toute la planète.
C’est à 22 km au nord d’Agadir que se trouve ce site. A proximité se dressait un bâtiment portant l’inscription ‘‘Al Madraba’’, aujourd’hui entièrement détruit. C’était une ancienne usine de pêche au thon. Ce sont les ancres alignées à proximité, servant à fixer un immense filet côtier (une madrague), qui ont donné le nom au spot. En effet, les premiers surfeurs anglo-saxons qui venaient y surfer dans les années 70, lui ont attribué le nom de Anchor point, d’où en français la pointe des Ancres.
Selon les habitués, la meilleure période pour surfer se situe entre octobre et avril. Aussi, l’endroit est généralement très fréquenté en hiver en raison de l’ensoleillement. Surtout qu’en dehors de la pointe des Ancres, les plages du nord d’Agadir abritent quatre autres vagues de classe mondiale, souligne Othmane Choufani, big wave rider (surfeur professionnel de grosses vagues). Killer point, la Source, Mistery et Panorama sont aujourd’hui les spots de la localité les plus connues à l’échelle mondiale. De l’or bleu qui n’a cessé de générer de la richesse dans les lieux, contribuant à l’essor économique de la zone.
Les hôteliers s’y mettent
Sur les vingt dernières années, les structures d’hébergement, gargotes, commerces en tout genre, se sont multipliés à Taghazout et dans les villages voisins. Aujourd’hui, avec le développement du surf, c’est une activité structurée qui côtoie une économie souterraine, créant de la richesse sur tout le littoral et par de là des centaines d’emplois. Ce qui a eu pour effet, une hausse des loyers dans la localité, mais aussi celle de la valeur immobilière des logements. Avec l’afflux de monde dans la localité et la demande croissante en hébergement, il y a eu tout d’abord un développement immobilier concentré et sporadique, suivi de l’implantation de grands projets comme c’est le cas aujourd’hui avec le développement de la station de Taghazout.
L’augmentation de l’activité du surf a aussi généré plusieurs activités connexes, répondant à une demande de complément de biens et services. C’est ainsi que des jeunes de la localité ont eu l’idée de transformer d’anciens petits locaux qui abritaient les barques de pêcheurs en surf shop. On peut en compter plusieurs au centre du village de Taghazout. «Ma boutique était à l’origine un local attenant à notre maison, que mon défunt père utilisait pour entreposer sa barque de pêcheur et le matériel nécessaire. Avec mes frères nous avons transformé le local en boutique de matériel de surf à la vente et à la location. Il nous arrive d’avoir des clients qui frappent à notre porte très tôt le matin pour louer nos planches», raconte Hafid, un habitant du village. «Les gens de cette localité vivent véritablement au rythme du surf et de tout ce qui l’entoure. Beaucoup de jeunes ici parlent plusieurs langues en raison du multiculturalisme qui marque les lieux. C’est dire l’impact du surf sur toute une communauté», ajoute de son côté Ahmed, un commerçant de la localité.
Les étrangers venus aussi surfer ou tout simplement séjourner à Agadir, sont les premiers à avoir senti le filon de la bonne affaire du surf. Rachid, un jeune trentenaire, mordu aussi de la planche et gérant d’une boutique d’articles de surf, relate comment le propriétaire du magasin, un Européen, s’est lancé dans une activité intégrée à Taghazout en investissant dans un surf-camp et un surf shop. Il n’est pas le seul à vivre cette expérience réussie. D’autres investisseurs étrangers ont également implanté des commerces structurés d’articles de surf et aussi des structures d’hébergement de toutes catégories. Il faut d’ailleurs compter entre 300 DH et 2000 DH la nuitée en chambre double suivant l’établissement.
La renommée des vagues du nord d’Agadir a eu aussi pour effet une véritable floraison de surf-camps. Selon les surfers et les commerçants de la localité, ils seraient aujourd’hui une centaine. Les nouveaux établissements hôteliers ont aussi misé sur le surf pour le développement de leur activité. C’est le cas de l’hôtel Melia Sol House implanté dans la nouvelle station balnéaire de Taghazout qui a mis en place une académie de surf en activité depuis un peu plus d’un an. Le directeur de l’établissement, Zakaria Elouati, indique que l’école Tadenga Surf Village offre des formations et des stages de surf et autres sport de glisse.
Le Collège Paul Gauguin, berceau du surf dans la région
La structure emploie des moniteurs certifiés par la Fédération internationale. En outre, un programme ‘‘Graine de champions’’ a été mis en place au profit des enfants de 8 à 12 ans du village de Taghazout pour leur enseigner gratuitement le surf et leur ouvrir la voie aux compétitions de la discipline. Selon le manager, l’activité du surf au sein de l’établissement a de fortes retombées sur sa fréquentation. Comparativement à l’an dernier, l’académie a enregistré une hausse de 30% de son activité, avance-t-il.
Toute cette dynamique de formation au surf a commencé à Taghazout il y a plus de 25 ans. Hervé Pignoges, un enseignant d’éducation physique dans les établissements français d’Agadir, y a fortement contribué dès la fin des années 80 et continue à le faire. «Ce que j’ai voulu initier tout d’abord, c’est donner de la visibilité au surf et ensuite créer une prise de conscience progressive au Maroc du potentiel de cette activité en termes de retombées économiques. Le résultat enregistré aujourd’hui est l’œuvre d’un travail d’équipe», souligne-t-il. Les élèves du professeur Pignoges se souviennent encore que, pour développer le surf, leur enseignant avec l’accord des responsables du Collège Paul Gauguin, a intégré la discipline sportive aux programmes scolaires, ce qui a créé un noyau de pratiquants exponentiels. «Pendant 15 ans la moitié des élèves de l’établissement pratiquaient le surf mercredi après-midi, et 100% ont connu des cycles de surf obligatoires dans le cadre des activités obligatoires des programmes d’Education physique. Les champions internationaux issus de cette période, Ramzi Boukhiam, Brahim Iddouch et Othmane Choufani, sont le fruit de cette dynamique instaurée dans notre région sur le long terme», précise-t-il.
Ce mouvement, qui a poussé la région d’Agadir aux sommets des destinations de surf les plus fréquentées, n’aurait pu cependant aller très loin sans le soutien royal. Hervé Pignoges explique comment SM Mohammed VI, à l’époque Prince héritier, a soutenu la naissance de l’Equipe nationale et sa 1ere participation aux Championnats du monde de surf, à Rio, en 1994. Selon lui, pour maintenir cette croissance, il est important de mieux gérer les plages à travers notamment une protection de l’environnement. Il s’agit aussi d’encadrer les écoles de surf. Il importe en effet de surveiller la qualité des enseignements. Il y va de maintenir la région au top des hauts lieux du surf dans le monde.
«Il est indispensable d’encadrer l’activité des surf-camps»
La Vie éco : En tant que professionnel international du surf, quel regard portez-vous sur la destination Agadir et ses spots ?
C’est une région très touristique avec une météo incroyable. Mais il est indispensable de mettre de l’ordre dans le développement des surf-camps et d’encadrer cette activité. L’écosystème du surf est véritablement aujourd’hui en pleine évolution dans la région d’Agadir, mais qui a besoin d’être réglementé pour générer encore plus de retombées dans la localité en termes de richesse, d’emplois et d’ouverture de la société.
Justement, comment mieux encadrer cette économie en grande partie souterraine ?
A mon avis, cela peut se faire à travers la mise en place d’une association interprofessionnelle des surf-camps qui aurait la mission de fixer les conditions d’exercice de l’activité, y compris celle des moniteurs employés. Il y va de l’image de la destination et la pratique de ce sport qui est caractérisée par beaucoup de risques. D’où la nécessité d’un dispositif de sécurité en tout genre et sur tous les plans.
Les plages d’Agadir offrent des vagues de classe mondiale, cette richesse de la nature est-elle pérenne ?
Je pense qu’il est primordial à ce niveau de renforcer la préservation de l’environnement des plages et la qualité des eaux. Sinon c’est l’image de la destination qui risque d’en prendre un coup. D’où l’intérêt de veiller au développement d’une urbanisation modérée et à un dispositif d’assainissement moderne et efficient.
Quelles sont vos ambitions pour Agadir sur le plan de l’activité du surf à l’échelle internationale ?
Je souhaite vivement, pour le renforcement de l’aura de la destination, que soit organisée une compétition mondiale de surf dans la région. Il m’importe de hisser encore plus haut mon pays sur ce plan. Aussi, j’aimerais que ce sport soit enseigné de plus en plus aux jeunes de tous les milieux sociaux pour assurer le renforcement de la position du Maroc à l’échelle internationale. Pour ma part, je ferai tout non possible pour contribuer au développement du surf marocain à l’échelle mondiale.
la vieéco