LES RISQUES DANS LE SYSTEME FINANCIER ISLAMIQUE
Résumé :
Le présent papier s’intéresse à l’étude des risques dans le système financier islamique et en spécifiquement les risques encourus par les institutions financières islamiques IFI (hors institutions d’assurance). La composante essentielle des activités des IFI est l’exigence de conformité avec les préceptes et les principes de la Charia et, en particulier, l’interdiction de générer des profits sans assumer les risques correspondants.
La gestion des risques est au cœur de l’actualité financière mondiale avec la crise que subit précédemment l’ensemble du secteur financier. Dans un tel contexte, toutes les institutions financières doivent augmenter leur surveillance, leur contrôle et leur gestion des risques, mesures qui n’échappent pas aux IFI. Mieux encore, elles ne sont pas seulement sujettes aux mêmes catégories de risques que leurs consœurs conventionnelles, mais de surcroit, elles font face à une série de risques spécifiques à leur nature.
La mise en application des mécanismes de gestion des risques par les IFI devra être effectuée en conformité avec la Charia et dans le respect du cadre juridique établi par les juridictions dans lesquelles les IFI exercent leurs activités, en veillant à ce que cette mise en œuvre soit adaptée à la taille, à la complexité et à la nature de chaque IFI.
Mots clefs : Finance Islamique – Institution Financière Islamique – Banque Islamique – Banques conventionnelles – Risques – Gestion des Risques.
Abstract :
The present paper deals with the study of risks in the islamic financial system and specifically with the risks incurred by the islamic financial institutions (exept for insurance institutions). The essential component of the islamic financial institutions activities is the compliance requirement with precepts and principles of the sharia and, in particular, the prohibition to generate profite without assuming the corresponding risks.
Risk management is at the heart of the word financial news along with the crisis that the whole financial sector suffered from previously. In such a context, all the financial institutions have to increase their surveillance, their control, and their risk management; measures that do not escape to the islamic financial institutions. Even better, they are not only subject of the same risk categories like their conventional sisters, dut also they face a series of risks specific to their nature.
The implementation of risk management mechanisms by the islamic financial institutions should be performed in accordance with sharia and with regard to the legal framework established by the jurisdictions in which the islamic financial institutions practice their activities by insuring that this implementation is adapted to the size, the complexity and the nature of each islamic financial institutions.
Key words: Islamic finance – Islamic financial institutions – Islamic banks – Conventional banks – Risks – Risk management.
Introduction
Les perspectives de la finance islamique ne font pas d’elle une finance sans limites, car celle- ci présente un certain nombre de risque, qu’elle pourrait avoir en commun avec la finance conventionnelle, mais également des risques spécifiques à son mode de fonctionnement. Ajouter à cela, les nombreux défis qu’elle devrait relever, au niveau international, ainsi que les défis internes à son environnement et à son fonctionnement.
La finance islamique est une finance éthique basée sur des valeurs morales tirées des enseignements de la charia. Parmi les principaux fondements de cette finance, figurent l’interdiction de l’application des taux d’intérêt, ainsi que l’adoption du principe de partage des pertes et profits.
Bien que la finance islamique ait commencée dans une petite communauté musulmane à travers l’exercice de quelques opérations financières, aujourd’hui cette finance est une industrie mondiale qui ne cesse de prendre de l’ampleur et à connaitre de plus en plus d’innovation financière. Dans ce contexte nous essaierons de présenter et de répondre dans ce travail les questions suivantes: Quels sont les risques liés aux modèles islamiques ? Quels sont les mécanismes de gestion de ces risques ? Quelle sorte d’instruments de gestion des risques conformes à la charia ? Comment vont s’en prendre les régulateurs face à ces nouveaux types de risques propres aux banques islamiques ?
Le présent papier traite les risques encourus par les institutions financières et particulièrement les risques encourus par les institutions financières islamiques (spécifiquement les banques islamiques).
Ce document est composé de trois principales parties. La première est une présentation générale des banques islamiques. La deuxième est axée sur les risques encourus par le système financier conventionnel et islamique. La troisième partie porte sur une présentation des deux études empiriques réalisées dans le domaine.
- Les banques islamiques : une présentation générale
De nos jours, la crise économique et financière mondiale a imposé aux pays de trouver des solutions profondes et urgentes pour répondre à la dégradation de leurs grands équilibres macro-économiques. Plusieurs secteurs sont touchés par cette crise en particulier le secteur financier dans plusieurs pays occidentaux. Ce qui a généré l’effondrement et la défaillance de plusieurs groupes bancaires internationaux. Ces derniers perçoivent dans le niveau de résilience dont ont fait preuve certaines banques islamiques suite à la crise des subprimes l’assurance d’un système plus résistant aux turbulences et plus performant que le système bancaire classique.
La finance islamique a vu ses premiers jours dans les années 1970. Mais ses fondements sont apparus bien avant, au début du XXe siècle, temps où les chercheurs et les praticiens musulmans cherchaient une alternative aux paradigmes économiques dominants. L’économie islamique devient donc acceptable et adoptée par plusieurs professionnels en finance y compris par les non musulmans.
La finance islamique englobe tous les mécanismes permettant la satisfaction des exigences financières des agents économiques tout en respectant la religion musulmane. Les banques
islamiques constituent le noyau dur de cette finance et dominent les processus d’épargne et d’investissement1.
Dans ce contexte, les banques islamiques sont les acteurs principaux de la finance islamique et leur nombre ne cesse d’augmenter passant d’une banque en 1960 à plus de 300 institutions financières islamiques en 2008, selon the banker, publication financière britannique, leurs avoirs ont connu une nette progression passant de 822 milliards USD en 2009 à 1540 milliards USD en 2012. Cet élan est confirmé par le FMI qui affirme que les avoirs des banques islamiques ont été multipliés par neuf à 1800 milliards de dollars entre 2003 et 2013. La cadence de croissance de la finance islamique enregistre une croissance forte estimée par l’agence de notation Standard & Poor’s à 15% par an sur ces dix dernières années. Leurs activités s’étendent à l’ensemble du globe y compris aux pays non musulmans ; devenant, en conséquence, un acteur incontournable dans le marché financier mondiale
A l’instar d’une banque classique, elles reçoivent les dépôts et mènent toutes les activités bancaires conventionnelles, sous la contrainte de respecter les principes de la charia.
Les banques islamiques se distinguent des banques conventionnelles par trois critères essentiels :
- Le recours au Comité de Conformité à la charia (Sharia compliance boards) qui évalue la conformité de leurs produits bancaires aux principes
- La croissance de leurs ressources qui dépassent les emplois offrant un potentiel important d’activité.
- Les particularités des ressources et des emplois par rapport aux banques conventionnelles et aux banques d’investissement conventionnelles
- Risques encourus par les banques islamiques, entre ressemblance et spécificité par rapport aux banques
Les risques encourus par les banques sont divers et multiples. La gestion de ces risques est au cœur de l’actualité financière mondiale avec la crise que subit précédemment l’ensemble du secteur financier. Dans un tel contexte, toutes les institutions financières doivent augmenter leur surveillance, leur contrôle et leur gestion des risques, mesures qui n’échappent pas aux IFI. Mieux encore, elles ne sont pas seulement sujettes aux mêmes catégories de risques que leurs consœurs conventionnelles, mais de surcroit, elles font face à une série de risques spécifiques à leur nature. Nous définissons ci-dessous quelques-uns des risques partagés par les deux types de banques, ensuite nous examinerons certains risques spécifiques aux banques islamiques.
- Risques partagés par les banques islamiques et les banques
Les banques islamiques sont exposées aux risques bancaires traditionnels similaires à leurs contreparties conventionnelles à savoir le risque de crédit, le risque de liquidité, le risque de marché et le risque opérationnel. En plus, ces institutions font face à des risques de nature unique dû à leurs modes de fonctionnement particuliers (Khan & Ahmed, 2001 ; Sundararajan & Errico, 2002 ; Grais & Kulthunga, 2007).
– Risque de crédit : Le risque de crédit est généralement défini comme le risque potentiel qu’une contrepartie ne remplisse pas ses obligations conformément aux conditions convenues, c’est-à-dire lorsque la contrepartie se trouve dans l’incapacité de répondre pleinement à ses obligations à la date prévue3
- Risque de liquidité : Ce risque surgit en cas d’insuffisance des liquidités pour les besoins des opérations courantes des banques, réduisant ainsi leur capacité à satisfaire la demande de leurs clients. Pour les banques islamiques, ce risque est accentué étant donné que les emprunts à intérêt sont prohibés par la Charia4.
- Risque de marché : Le risque de marché est défini comme le risque de pertes sur des éléments de bilan et de hors-bilan, résultant des fluctuations des prix du marché, c’est- à-dire des fluctuations des valeurs des actifs susceptibles d’être négociés, commercialisés ou loués (y compris les Soukouk) et sur des portefeuilles individuels de hors-bilan (par exemple, des comptes d’investissement restrictifs). Ces risques sont liés à la volatilité actuelle et future de la valeur de marché d’actifs spécifiques (par exemple, le cours d’une matière première d’un actif Salam, la valeur de marché de Soukouk, la valeur de marché d’actifs Mourabaha achetés pour être livrés sur une période spécifique) et des cours des devises5.
- risque opérationnel : Selon la comité de Bâle sur le contrôle bancaire (BCBS), le risque opérationnel se définit comme « le risque de pertes résultant de carences ou de défauts attribuables à des procédures, personnels et systèmes internes ou à des événements extérieurs. La définition inclut le risque juridique, mais exclut les risques stratégiques et de réputation ».6 Dans les banques islamiques, Les risques opérationnels sont encore plus amplifiés que dans les banques conventionnelles, de fait que les banques islamiques supportent les mêmes types de risques opérationnels des banques conventionnelles, relatifs aux facteurs humains, procédures, technologies
- Risques spécifiques aux banques islamiques
La banque est souvent présentée comme un portefeuille de risques. La banque islamique ne fait pas exception face à cette conception. De manière générale, le risque provient de l’impact adverse sur le résultat que pourrait avoir un événement ou une action interne ou externe à la banque. Cet impact adverse pourrait se présenter sous la forme d’un moindre profit, voire d’une perte, ou de contraintes entravant la banque dans la réalisation de ses objectifs7. En plus des risques expliqués ci-dessus, les banques islamiques font face à d’autres types de risques
- Risque de taux de référence : Comme les banques islamiques ne pratiquent pas de taux d’intérêt, il semble qu’elles sont à l’abri des risques de marché liés à la fluctuation des taux d’intérêt. Toutefois, les variations des taux de marché présentent certains risques pour les gains des institutions financières islamiques. Les institutions financières utilisent un taux de référence pour déterminer le prix des différents instruments financiers. Ainsi, dans un contrat Mourabaha, la marge de profit est déterminée par le rajout d’une prime de risque au taux de référence (généralement le LIBOR). La nature de l’actif à revenu fixe fait que la marge soit fixée pour la durée du contrat. Par conséquent, si le taux de référence varie, les taux de marge fixés dans les contrats Mourabaha ne peuvent pas faire l’objet d’ajustement. Les banques islamiques ont donc à faire face à des risques émanant des variations de taux d’intérêt.9
- Le risque d’illiquidité : Le risque d’illiquidité provient des difficultés à mobiliser des fonds à coût raisonnable (emprunts) ou à vendre des actifs financiers. Le risque d’illiquidité émanant de ces deux sources est d’une importance particulière pour les banques islamiques. Sachant que les emprunts à intérêt sont prohibés par la Charia, les banques islamiques ne peuvent pas recourir à ce mécanisme pour se ressourcer, le cas échéant, en argent liquide. De même, la Charia n’autorise pas la vente d’une créance en dehors de sa valeur nominale. Par conséquent, il est exclu pour les institutions financières islamiques de s’alimenter en argent liquide en vendant des actifs financiers.
- Le risque opérationnel : Etant des institutions de création récente, les banques islamiques encourent un risque opérationnel provenant essentiellement du manque de personnel qualifié capable de mener efficacement des opérations financières islamiques. Le caractère spécial des banques islamiques fait que les logiciels informatiques disponibles sur le marché ne soient pas utiles pour les banques islamiques car ils sont conçus pour les banques traditionnelles. Cela ajoute un nouveau type de risques liés à l’utilisation de la technologie informationnelle au niveau des banques
- Le risque juridique : Sachant que les contrats financiers consacrés par les banques islamiques ont un caractère un peu spécifique, celles-ci encourent des risques liés à leur documentation et leur mise en application. En l’absence de formalisation de ces contrats pour les différents instruments financiers, les banques islamiques continuent de les concevoir en fonction de leur appréhension de la Charia, des lois nationales, de leurs besoins et leur intérêt. Ce manque d’uniformisation des contrats et l’absence de cadre juridique destiné à résoudre les problèmes liés à l’exécution de ces contrats pour toutes les parties concernées font augmenter les risques d’ordre juridique associés aux engagements contractuels des banques
- Le risque fiduciaire : L’AAOIFI (Accounting and Auditing Organisation of Islamic Financial Institutions) (1999) identifie également le risque fiduciaire comme le risque que les clients perdent confiance en leur banque suite à la non-conformité des opérations bancaires avec les principes de la finance islamique ou bien à cause d’une mauvaise gestion des fonds. Ceci engendre généralement une dégradation de l’image
- Ben Jdidia Daoud K., L’intermédiation financière participative des banques islamiques, Les cahiers de la finance islamique, n°3, p. 12, juillet 2012.
- Tariqullah khan & Habib ahmed, La gestion des risques : l’analyse de certains aspects liés à l’industrie de la finance islamique, Banque
islamique de développement (BID), Institut islamique de recherche et de formation (IIRF). Document occasionnel n°5, 2002, Jeddah, Arabie Saoudite, p.59.
de la banque et une perte de confiance de la part des titulaires des dépôts qui peuvent être amenés à retirer leurs dépôts.
- Le risque commercial déplacé : La banque islamique est exposée également à un autre risque spécifique appelé le risque commercial déplacé (Sundararajan, 2008; Archer and karim, 2007; Archer and Karim, 2009; El-Hawary et al., 2007, Archer and Karim, 2006). Ce risque spécifique résulte de la gestion des comptes d’investissement participatifs. L’AAOIFI (1999) l’identifie comme étant la probabilité que la banque ne soit pas capable de faire face à la concurrence des autres banques (conventionnelles et/ou islamiques) à cause d’un taux de rendement faible sur les comptes d’investissement
- Le risque de concentration : Le risque de concentration peut se définir comme l’exposition excessive à un secteur particulier, à une région géographique donnée, à un type d’activité bien spécifique, à un mode de financement déterminé… Cet investissement excessif peut engendrer des pertes significatives pour l’investisseur en cas de crise touchant le secteur en question, le marché ou la zone géographique choisis. Ce risque dans le cas des banques islamiques est spécifique dans la mesure où, pour l’instant, les emplois bancaires destinés à gérer les liquidités sont peu variés, aussi, les grandes entreprises admises pour le placement des investissements sont peu nombreuses à satisfaire les critères islamiques et, au passif, le nombre de contreparties institutionnelles est peu élevé. Ces éléments laissent les banques islamiques dépendantes à de faibles emplois de leurs ressources.
- Le risque d’investissement : Les banques islamiques, offrent un financement sous les principes du partage de profit et des risques avec ses déposants. A ce titre, Le risque d’investissement dans les banques islamiques découle des choix de placement de la banque, puisqu’en investissant en capital, la banque encourt le risque d’une perte de ses apports, perte qu’elle partage, avec ses déposants.
- Le risque religieux ou de non-conformité : Les écoles de pensée musulmanes se rejoignent dans l’interprétation de la plupart des textes religieux et dans la promulgation de la quasi-majorité des opinions juridiques. Cependant, il n’est pas exclu que certaines d’entre elles émettent un avis différent concernant un même questionnement juridique ou qu’elles produisent des décisions divergentes. Ces situations sont rares mais peuvent, quand elles se produisent, entraver par exemple le lancement d’un produit par une institution financière
- La gestion des risques dans le système financier islamique
Il existe de nombreux types d’outils et de moyens de gestion des risques de la finance islamique, en raison de la diversité des risques auxquels elle est exposée. La mise en place d’une gouvernance plus rigoureuse est également nécessaire pour minimiser les risques encourus par la pratique financière islamique.
Dans le cas de la gestion des risques génériques, les moyens utilisés en finance conventionnelle sont très souvent repris en finance islamique, à l’exception de ceux qui ne soient pas conformes à la Charia (tel est le cas de certains produits dérivés). Ces moyens peuvent être : la diversification des portefeuilles d’investissement (pour une plus grande répartition des risques), la définition de critère d’évaluation et d’octroi de crédits, l’élaboration d’un système de gestion et d’identification des besoins de liquidité (notamment, du fait qu’en finance islamique, il est interdit de faire appel aux prêts avec intérêt et à la titrisation bancaire), l’adoption d’une veille financière aux sein des institutions financières islamiques, etc. Quant aux risques spécifiques, ceux-ci peuvent être gérés par l’utilisation de
certains moyens, tels que : l’élaboration de système de contrôle et du surveillance plus rigoureux dans les Sharia boards, la certitude de l’adéquation des contrats aux principes de la Charia avant leur signature, la détermination d’un niveau approprié des soldes de réserve de taux de rendement et d’investissement, la mise en place d’un système pour gérer les attentes des actionnaires et des titulaires de comptes d’investissement.10
En termes de gouvernance, la finance islamique est tenue de respecter et d’appliquer un certain nombre de normes. D’abord les normes établies par le comité de Bâle (ratio Cook, ratio Mc Donough et les normes de Bâle III) et des banques centrales. Egalement, les acteurs de la finance islamiques doivent respecter et appliquer les normes élaborées par L’Organisation de la Comptabilisation et de Contrôle des Institutions financières (AAOIFI) et Le conseil des services financiers islamiques (ISFB), les deux principaux organes de gouvernance de la finance islamique. En effet, depuis sa création, l’AAOIFI a établi 95 normes, qui se répartissent comme suit : 26 normes comptables, 05 normes d’audit, 07 normes de gouvernance, 02 normes d’éthique et 45 normes Charia. Quant à l’IFSB, celui-ci a établi sept principales normes de gouvernance des institutions financières islamiques (IFI), à l’exception des assurances islamiques (takaful) et des fonds communs de placement islamiques, et qui se répartissent en des approches de la gouvernance générale des IFI, en droit des titulaires de comptes de placement, en le respect des règles et principes de la Charia et en la transparence de l’information financière à l’égard des comptes de placement.
- Etudes sur la gestion des risques dans les institutions financières
- Etude de la Banque islamique de développement (BID).
En 2002, la BID a mené une étude sur la perception du risque auprès de 17 institutions financières islamiques provenant de 10 pays différents11. Les résultats de cette étude sont présentés et analysés comme suit :
- La perception des risques : Risques majeurs encourus par les institutions financières islamiques en général
D’après cette étude, les banquiers islamiques estiment que le risque de marge (semblable à celui du taux d’intérêt) est le plus pertinent auquel ils font face avec un résultat de 3.07 (un score de 1 signifie une situation de risque « moins grave » et 5 un risque « sérieusement grave
»). Le risque qu’ils considèrent comme étant le moins grave est le risque de marché comme nous pouvons le constater dans le tableau 3 ci-dessous.
La raison que le risque de marge soit le plus élevé s’explique par le fait que les contrats islamiques donnant lieu à des dettes (comme la Mourabaha) ne peuvent être ni revus à la hausse ni faire l’objet d’un swap de transfert de risque. Les risques opérationnels sont classés parmi les risques élevés, à cause de la nature même des banques islamiques où plusieurs questions concernant leurs opérations doivent être instituées. Cela comprend le recyclage des employés, le développement de programmes informatiques, de documents légaux, etc. Le risque d’illiquidité est plus élevé que le risque de crédit à cause du manque d’instruments sur le marché monétaire qui permettent de gérer rationnellement
- Lynda OUENDI, La Finance Islamique face aux défis de la globalisation financière , Mémoire de magistère soutenu à l’université Mouloud MAMMERI de tizi ouzou, Faculté des sciences economiques, Commerciales et de gestion, en Algérie, 220.
- Il s’agit du Bahreïn, des Emirats Arabes Unis, de l’Inde, du Bangladesh, du Pakistan, de la Russie, de la Malaisie, de l’Arabie Saoudite, du
Soudan et de la Turquie.
le stock d’argent liquide. Le risque de crédit qui demeure relativement faible s’explique peut- être par le fait que le financement des IFI est directement lié à un bien ou à une marchandise qui servent de garanties.
Le risque de crédit apparaît le moins élevé pour ce qui concerne la Mourabaha (2,56) et le plus élevé concerne la Moucharaka (3,69) suivi de la Moucharaka dégressive (3,33) et la Moudaraba (3,25). Il semble que les modes de financement participatifs sont perçus comme présentant les risques les plus élevés par les banquiers islamiques. Il y a lieu de remarquer que le risque de crédit lié aux modes de financement participatifs se manifeste lorsque les contreparties ne paient pas la part qui revient aux banques, sachant par ailleurs que le montant à payer n’est pas connu ex ante.
Les résultats du risque de crédit éclairent sur la composition des instruments utilisés par les banques islamiques. Cette étude montre que Les modes de financement à revenu fixe présentent moins de risques, et c’est pour cela que les autres modes de financement participatifs sont moins utilisés (Moudaraba et Moucharaka), à cause des risques élevés qui leur sont associés.
Le risque de marge
Le tableau 4 montre que le risque de taux est le plus élevé et concerne le contrat Istisnaâ (3,57) et le salam (3,50) suivi des modes de financement participatifs Moucharaka et Moucharaka dégressive notés à (3,40) et la Moudaraba à (3,0).14 La Mourabaha présente le moins de risque de marge à (2,87) suivie de l’ijara (2,92). Le risque de marge (taux d’intérêt) s’accentue pour ce qui concerne les instruments à long terme à taux fixes. Une des raisons qui explique le fort taux de risque lié à l’istisnaâ est que ce genre d’instruments se caractérise le plus souvent par une longue maturité. Cela est particulièrement vrai pour les projets liés à l’immobilier. Les contrats sont liés à un certain taux de marge et tout changement de taux d’intérêt expose ces contrats à des risques. La Mourabaha présente le risque le moins élevé, car ce mode de financement concerne généralement le court terme. Après la Mourabaha, c’est l’ijara qui présente le moins de risque de marge. Malgré que les contrats ijara puissent être à long terme, le revenu (le loyer) peut être ajusté de manière à refléter les conditions du marché. Parmi les modes de financement participatifs, les banquiers islamiques considèrent la Moucharaka et la Moucharaka dégressive comme présentant plus de risques car ces modes portent généralement sur des engagements à long terme. La Moudaraba, en revanche, présente moins de risque que les deux modes précédents, car elle est utilisée le plus souvent à court terme.
Le risque d’illiquidité
Le risque d’illiquidité serait limité si les actifs peuvent être vendus ou sont à courte échéance. Les banquiers considèrent la Moudaraba comme présentant le moins de risque d’illiquidité (2,46) suivie de la Mourabaha (2,67). Notons que ces deux instruments sont utilisés dans le court terme. D’autres instruments sont perçus comme présentant plus de risque, avec la Moucharaka dégressive qui a le record de 3,33 suivie du salam à 3,20 et de l’Istisnaâ à 3,00. L’Ijara elle-aussi présente un risque d’illiquidité élevé à 3,1.
Le risque opérationnel
Le risque de marge lié aux modes de financement participatifs tels la Moudaraba et la Moucharaka dépend, entre autres, d’un taux de référence comme le
Comme mentionné précédemment, le risque opérationnel peut avoir plusieurs sources. Certains aspects de ce risque au niveau des banques islamiques sont d’ordre juridique liés aux différents contrats, ou concernent l’appréhension des modes de financement par les employés de la banque, l’élaboration de programmes informatiques et la confection de documents légaux consacrés aux différents instruments usités, etc. Le tableau 4 résumant le risque opérationnel des différents instruments retrace ces préoccupations. Il semble que ce risque est moins élevé avec les emplois à revenu fixe tels la Mourabaha ou l’ijara représentant successivement 2,93 et 2,9, mais il est particulièrement élevé avec les contrats à livraison différée tels le salam et l’istisnaâ (3,25 et 3,29 successivement). Les modes de financement participatifs viennent juste après avec la Moudaraba à 3,08 et la Moucharaka à 3,18. Le risque opérationnel est plus élevé avec la Moucharaka dégressive à 3,40. Le niveau élevé des risques liés à ces instruments montre que les banques trouvent des difficultés à appliquer ces contrats qui sont parfois complexes et difficiles à manipuler.
Les résultats montrent que les institutions financières islamiques sont exposées à des risques qui sont différents de ceux encourus par les banques conventionnelles. En fait, les banques islamiques ont révélé que les risques qu’elles encourent sont beaucoup plus importants que ceux encourus par les autres institutions financières. Les modes de financement participatifs (Moucharaka dégressive, Moucharaka et Moudaraba) et les modes à livraison différée (salam et istisnaâ) présentent plus de risques que les modes Mourabaha et ijara. D’autres risques se manifestant au niveau des banques islamiques sont liés à la rémunération des dépôts par une part des profits qui n’est pas déterminée ex ante. Les institutions financières islamiques se voient dans la contrainte d’offrir la même rémunération que celle offerte par les banques conventionnelles, car elles estiment que les déposants les prendront pour responsables, pour tout taux de rendement faible qui pourrait conduire à des retraits massifs.
- Etude de Martin CIHAK et Heiko 15
Une étude empirique de Cihak et Hesse16 portant sur 77 banques islamiques et 397 banques conventionnelles, entre 1993 et 2004, dans 20 pays émergents, permet d’obtenir des éléments de réponse suivants :
- La banque islamique est sujette aux mêmes catégories de risques qu’une institution bancaire conventionnelle. Son exposition à ces risques semble par contre être différente, en raison de ses particularités. En outre, celles-ci génèrent des risques inconnus du reste de l’industrie. Le critère de la taille de la banque s’avère alors déterminant pour évaluer la sensibilité de la banque islamique à ces différents
- Les petites banques islamiques (moins d’un milliard de dollars d’actifs) sont significativement et substantiellement moins risquées que les grandes banques islamiques. Plus intéressant encore, les petites banques islamiques sont moins risquées que les petites banques conventionnelles et cette différence de taille n’existe pas pour les banques
- les banques islamiques ayant plus d’un milliard de dollars d’actifs sont les banques les plus risquées de l’échantillon. Elles sont non seulement substantiellement plus
- Paul-Olivier. K, La banque islamique face aux risques », Les cahiers de la finance islamique, n°8, 2015, 12.
- Cihák. M et Hesse. H, Islamic Banks and Financial Stability : An Empirical Analysis, Journal of Financial Services Research, 2010, vol. 38, no 2-3, p. 95-113.
risquées que les petites banques islamiques, mais encore que les banques conventionnelles (qui ne connaissent pas cette distinction de taille).
Conclusion
Dans ce papier, nous avons essayé de présenter les différents aspects liés à la gestion des risques dans le cadre de l’industrie de la finance islamique. Les risques encourus par ces institutions financières islamiques peuvent être classés en deux catégories : les risques communs avec les banques traditionnelles en tant qu’intermédiaires financiers et les risques propres aux banques islamiques liés à leur conformité aux règles de la Charia. La majorité des risques auxquels font face les institutions financières conventionnelles tel le risque de crédit, le risque de marché, le risque d’illiquidité, le risque opérationnel, etc. concernent aussi les institutions financières islamiques. Mais le degré d’importance de certains de ces risques diffère pour les banques islamiques à cause de leur conformité à la Charia.
En plus de ces risques communs, ce papier nous a permis de démontrer les caractéristiques propres des risques liés aux institutions financières islamiques. Par ailleurs, nous avons pu confirmer le fait que ces risques sont plus difficilement gérables en raison des contraintes religieuses régissant ce système financier.
Bibliographie Livre :
- Guéranger. F, (2009) « Finance islamique »,
- Al-Jarhi. M. A, & Iqbal. M, (2002) « Banques islamiques : réponses à des questions fréquemment posées », Document périodique n°4, institut islamique de recherches et de formation, bid,
- Comité de bâle sur le contrôle bancaire (BCBS), (2006) « Convergence internationale de la mesure et des normes de fonds propres ». Banque des règlements internationaux. 376
- Conseil déontologique des valeurs mobilière (CDVM), (2011) « La finance islamique », Octobre, disponible à cdvm.gov.ma, 43 pages.
- Conseil des services financiers islamiques (CSFI), (2005) « Principes directeurs de gestion des risques pour les institutions (hors institutions d’assurance) n’offrant que des services financiers islamiques », Décembre, 39
- Jouaber-snoussi K. (2012) « La finance islamique », Repères, La découverte, 128
- K, (2008) « La finance islamique : analyse des produits financiers islamiques », Haute école de gestion de Genève (HEG-GE), Travail de bachelor, Octobre. 109 Pages.
- Banque islamque de developpement (BID), Institut islamique de recherche et de fomation (IIRF), (1996) « Introduction aux techniques islamiques de financement »,
- T, (2004) « La gestion des risques financiers ». Paris, Economica.
- K, & Habib A, (2002) « La gestion des risques : l’analyse de certains aspects liés à l’industrie de la finance islamique », Banque islamque de developpement (BID), Institut islamique de recherche et de fomation (IIRF). Document occasionnel n°5, Jeddah, Arabie Saoudite, 196 pages.
- A, « La finance islamique, entre opportunisme et pragmatisme », Mémoire de magistère soutenu à l’Université mouloud mammeri de tizi ouzou, Faculté des sciences economiques, commerciales et de gestion en Algérie.
- Abou hamdan. M, (2013) « Produits dérivés, risques de marché et « gharar » : recherche d’une alternative islamique », Thèse de doctorat, soutenue le 16/09/2013, à l’Université Paris II panthéon-assas, École doctorale ecogeinfocom, Septembre.
Articles de revues :
- El Attar. A, & Atmani. M. A, (2015) «La gestion des risques des produits financiers islamiques : essai de modélisation », Dossier de recherche en economie et gestion, numéro 4, Vol 2,
- Ben Jdidia. D. K, (2012) « L’intermédiation financière participative des banques islamiques », Les cahiers de la finance islamique, n°3, p. 12,
- Soumaré. I, (2009) « La pratique de la finance islamique », Assurances et gestion des risques, vol. 77(1-2), avril-juillet, pp. 59-78.
- Ben Jedidia. K, & Jlassi. M, (2013) : « le Risque de liquidité pour une banque islamique : Enjeux et Gestion », Etudes en Economie Islamique, Vol. 7, n° 1, Juin, p. (71-96).
- P. O, (2015) « La banque islamique face aux risques », Les cahiers de la finance islamique, n°8, p. 12.
- Soumaré. I, (2009) « La pratique de la finance islamique », Assurances et gestion des risques, vol. 77(1-2), avril-juillet, p 59-78.
- H, (2009) « Financial crisis : risks and lessons for islamic finance », International journal of islamic finance, Vol 1, N°1, pp. 7-32.
- M. F, & Ali. K, & Sadaqat. S, (2011) « Liquidity risk management : a comparative study between conventional and islamic banks of pakistan », Interdisciplinary journal of research in business, vol. 1, n°1, pp. 35-44.
- C, (2008) « La gestion du risque de liquidité », Revue de la stabilité financière, Banque de france, Numéro spécial liquidité, n° 11, pp. 41-46.
- A, (2003) « La solvabilité des banques islamiques : forces et faiblesses », Revue d’economie financière, n°72.
Thèse et Mémoire :
- Lynda OUENDI, « La Finance Islamique face aux défis de la globalisation financière », Mémoire de magistère soutenu à l’université Mouloud MAMMERI de Tizi Ouzou, Faculté des Sciences Economiques, Commerciales et de Gestion en Alrérie.
- Kaouther TOUMI, (2011) « Structure de capital, profitabilité et risques des banques islamiques », Thèse de doctorat, soutenue le 08/12/2011, Thèse en cotutelle entre l’université Montpellier 1, Ecole doctorale économie et gestion en France et l’université de Sfax, Faculté de Sciences Economiques et de Gestion de sfax en
Quelques sites utiles :
Banque Islamique de Développement : www.isdb.org. Islamic Financial Services Board: www.ifsb.org.
The Accounting and Auditing Organization for Islamic Financial Institutions: www.aaoifi.com.
Islamic International Rating Agency: www.iirating.com. Fonds Monétaire International : www.imf.org.
Fouad ELLESK
&
Ahmed OUAZZANI