L’industrie du tabac en sursis


L’industrie du tabac en sursis

L’ACTIVITÉ INDUSTRIELLE DE L’USINE D’AIN HARROUDA TOURNE AU RALENTI APRÈS LA MONTÉE EN PUISSANCE DES PRODUITS IMPORTÉS. LES COÛTS DE PRODUCTION AURAIENT AUGMENTÉ DE 20% ET LES PARTS DE MARCHÉ EN CHUTE LIBRE, EN RAISON DE LA HAUSSE DES PRIX. L’USINE A SUBI DE PLEIN FOUET LA DÉLOCALISATION DE LA FABRICATION DES MARQUES DE PHILIP MORRIS (PM) EN TURQUIE.

L’ouverture de l’économie marocaine ne cesse de compliquer la vie aux industriels locaux. Peu connue, l’industrie locale du tabac est-elle menacée de disparition, sous l’effet de la concurrence internationale et des mutations que connaît le marché du tabac après sa libéralisation. Détenue par la filiale d’Imperial Brands, la société marocaine du tabac (SMT, ex-Régie des tabacs), l’usine d’Ain Harrouda ne tourne plus à plein régime, selon nos informations. Dans le détail, le taux d’utilisation des capacités a chuté de 40% depuis quelques mois, ce qui a engendré une hausse des coûts de production d’au moins 20%.

«Aujourd’hui, il est plus rentable pour la SMT de produire en Turquie ou en Ukraine qu’au Maroc, où les coûts de production sont 65% supérieurs aux usines du groupe dans ces deux pays», confie une source au sein de l’entreprise.

En chute libre, l’activité de l’usine qui emploie 350 personnes a reculé, tout comme les parts de marché des marques locales de la SMT. Des marques historiques comme Casa, Olympic et Marquise, qui sont de plus en plus concurrencées par des marques importées à bas prix, mais pas que. Ces marques prisées par les consommateurs à faible revenu ont été impactées par les augmentations de la taxe intérieure de la consommation, beaucoup plus que les marques premium. «Rien que Casa et Olympic assuraient le fonctionnement d’au moins 10% des capacités. Aujourd’hui, ce segment a disparu ou presque, après l’alignement de la fiscalité des cigarettes brunes sur celles des blondes», indique notre source. Marque star de la SMT, Marquise perd elle-aussi des parts de marché, ce qui accentue la baisse du taux d’utilisation. Vendues respectivement à 9,50 DH et 17,50 DH, Casa et Marquise se vendent aujourd’hui à 20 et 21,50 DH. En face, les prix des marques premium sont restés relativement stables, excepté les récentes augmentations, depuis janvier 2019.

Il faut rappeler que la délocalisation de la fabrication des marques de Philip Morris (PM) en Turquie a été un coup dur. En fait, cette production sous contrat dans l’usine de la SMT représentait 30% des volumes fabriqués (2,7 milliards de cigarettes en 2017).

Philip Morris dit avoir créé 600 emplois dans la distribution

Jointe par La Vie éco, une source au sein de Philip Morris est revenue sur cette décision stratégique du fabricant suisse. «PM Maroc avait privilégié la production locale jusqu’à fin 2015, soit la date d’échéance du contrat de fabrication et de distribution qui nous liait à la SMT. Avant cette date, de longues négociations ont été tenues, sans résultat», indique notre source. La multinationale dit avoir donné la priorité à la durabilité et la pérennité de son activité.
Mieux, Philip Morris Maroc relativise le poids socio-économique de la transformation du tabac. «Si l’on parle de fabrication, les usines sont actuellement équipées de machines hautement automatisées limitant l’intervention humaine, et par conséquent ne permettent pas une création importante d’emplois, contrairement aux activités commerciales et de distribution», argue notre source. Pour illustrer, le représentant de PM précise que l’entreprise a contribué à la création de 600 emplois après la signature d’un contrat de distribution.

Mais ce n’est pas seulement dans l’usine que la délocalisation a eu un effet. Le recul de l’activité industrielle de la SMT a eu un effet direct sur la tabaculture locale, devenue victime collatérale de la guerre commerciale sur le marché du tabac (voire encadré). «Depuis 2017, nous avons suspendu l’approvisionnement auprès de 1600 tabaculteurs issus de huit provinces, en lançant un programme de reconversion pour 20 MDH, soit le même budget alloué à l’assistance technique à la tabaculture», précise notre interlocuteur. Là aussi, il est beaucoup plus cher de s’approvisionner localement en tabac que d’importer.
Comme un malheur ne vient jamais seul, l’instauration – en cours – de nouvelles règles d’origine via un protocole pan-euro méditerranéen pourrait accélérer la descente aux enfers de l’industriel local. Fixés à 70%, le niveau d’intégration nécessaire pour qu’un produit soit considéré comme originaire de l’espace économique européen passerait à 10% seulement. Un changement réglementaire favorable aux opérateurs dont le modèle est basé sur l’importation.

Coup dur pour SMT

A l’évidence, les mauvaises performances commerciales combinées au recul de l’activité industrielle se sont faits sentir sur le business de la SMT, selon des données fournies par notre source. Son chiffre d’affaires a dégringolé de 42% à 6,7 milliards de DH entre 2014 et 2018. Le résultat net quant à lui s’est réduit comme une peau de chagrin de 86% à 145,5 MDH sur la même période.

La société a-t-elle souffert d’une libéralisation accélérée du secteur du tabac? «Il ne fait aucun doute que c’est le cas. A cela s’ajoutent des pratiques anticoncurrentielles sur le marché, la différence entre la SMT et ses concurrents, aussi bien en termes de business model et de structure des coûts qu’en ce qui concerne le positionnement des marques», rétorque un responsable de l’entreprise.

Pour sauver l’industrie, le management de l’entreprise appelle à une concurrence saine sur le marché du tabac. Un message à peine voilé aux autorités de régulation pour mieux encadrer le marché. «Nous ne demandons ni subventions ni aides. Pour mener une concurrence saine sur le terrain du marché, tout le monde doit être traité sur un pied d’égalité», tonne-il.

Un observateur aguerri du marché du tabac préférant le sceau de l’anonymat explique que les marques à bas prix sont à l’origine des difficultés que connaît l’héritier de la Régie des tabacs. «Profitant des marges confortables sur les marques premium, certains opérateurs lancent des marques importées à des prix excessivement bas pour détrôner Marquise, qui reste la championne de ce segment», explique-t-il. Pas plus tard qu’en mars dernier, des opérateurs ont fait l’objet d’importants redressements fiscaux, après des soupçons de pratiques frauduleuses.

Guerre des prix, pratiques anticoncurrentielles, changements fréquents de la fiscalité, mollesse des instances de régulation….Autant de contraintes que doit gérer la filiale d’Imperial Brands pour assurer la pérennité de son modèle, tout en préservant son intégration. Une tâche qui s’annonce très ardue.

la vieéco


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